Quand Copperfield arrive au commissariat, tout le monde est déjà rentré chez lui pour la nuit.

Il va se changer les idées à la machine à boissons. Il pense au récit de la mère de Ken. S’il l’avait interrogée plus tôt, il sait qu’ils auraient pu éviter d’autres victimes. Il éprouve un peu de rancœur envers Rivage.

Devant la machine, il hésite entre un frappuccino personnalisé avec glaçons, sirop au chocolat et sucre en poudre, ou un thé au citron Lipton. Quelqu’un frappe à la porte du commissariat. Copperfield appuie sur un bouton au hasard et va ouvrir pendant que la machine le sert.

Bonsoir, dit Mista.

Copperfield reconnaît le cascadeur pour la pub de café.

10 minutes plus tard, la lumière bleu et blanc qui tombe des lampadaires de la rue éclaire les visages de Copperfield et de Mista, assis face à face dans le bureau de Rivage.

Mista regarde son café dans le gobelet en plastique. Il le fait tourner avec des mouvements de poignet presque invisibles.

Copperfield a sorti son carnet mais n’a pas encore commencé à écrire. Son thé au citron est froid. Heureusement, il en a déjà bu les trois quarts.

Mista dit : c’est à 80 km au sud de Myriad Pro, dans un quartier résidentiel privé.

Il y a des enfants, dit-il. Je n’en ai vu qu’un, mais je pense qu’il y en a plusieurs.

Qu’est-ce que vous faisiez là-bas ? demande Copperfield. Mista réfléchit pour donner une réponse adaptée. Il dit : je faisais une cascade pour une autre pub de café. Les consommateurs aiment bien avoir l’impression que boire du café rend riche, enfin quelque chose dans le genre, je ne sais pas, c’est la prod qui fait les choix de DA.

De DA ? demande Copperfield.

De direction artistique, dit Mista.

Ah oui, la direction artistique, dit Copperfield. Il pense aux producteurs de café à Managua et aux règlements de comptes de la pègre locale avec des kalachnikovs volées et des mines artisanales. Il pense à la meilleure façon de les intégrer au discours de la marque.

Vous faisiez une cascade dans la maison avec cet enfant ? demande Copperfield. Non, dit Mista, je faisais une cascade dans la villa à 200 mètres de là, mais en partant je me suis perdu et je suis arrivé par hasard dans la maison avec les enfants, enfin l’enfant. Parce que je n’en ai vu qu’un, comme je vous l’ai dit.

Alors pourquoi vous êtes entré dans cette maison ? demande Copperfield.

Pour une fois, Copperfield ne fait pas comme si toutes les histoires qu’on lui racontait allaient de soi. Il prend modèle sur Rivage et part du principe qu’on peut lui mentir.

Mista revoit le sous-bois, le jardin de la maison, la terrasse et la baie vitrée. Il se souvient de l’aura que dégageait l’intérieur de la maison par la baie vitrée entrouverte, et de l’atmosphère nauséabonde qui passait au travers. Ce genre de pressentiment, pense Mista, quelque chose d’indescriptible, comme le mal absolu.

Une intuition, dit Mista.

La cartouche à balle ordinaire et perforante de 12,7 mm Sniper Elite fait un trou net dans l’écran Dell 24 pouces face à Copperfield. Un arc électrique sort des câbles. Le paysage désertique en fond d’écran est encore en partie visible, et les icônes aussi. La corbeille est pleine et la vider permettrait de gagner 1,5 Go d’espace disque.

Une vitre éclate.

Copperfield et Mista se jettent au sol.

Le cerveau analyse toujours à contretemps les événements trop rapides.

Mista pense aux pédophiles qui l’auraient repéré dans la maison et voudraient le faire taire.

Mais juste après, il a un autre souvenir.

Avant d’arriver au commissariat, il a reconnu les trois nouvelles Jeep en or des sœurs Braska en train de passer au drive d’un Burger King. Il s’est demandé ce qu’elles faisaient dans le quartier. Sur le moment, il pensait qu’elles profitaient juste d’une promo flash sur les menus Big King XXL. Maintenant, il comprend qu’elles n’étaient pas là pour ça.