68. Quatre adolescents traînent
Quatre adolescents traînent à la carrière, à côté des rampes du skatepark. Ils discutent en buvant des bières et se montrent des vidéos sur leurs téléphones. Des oiseaux de mer se posent à quelques mètres d’eux et picorent sur le sol les restes des sandwichs qu’ils ont achetés.
Ils s’appellent Scott, Dylan, Troy et James.
Les parents de Troy et de Scott ne savent pas qu’ils sont là ce soir. Le père de James sait où est son fils mais le laisse faire ce qu’il veut.
Troy dit qu’il va bientôt quitter Myriad Pro parce que ses parents déménagent. Ils ont trop peur que je meure, dit-il. Ils ont acheté une nouvelle maison à Portobello, où tout le monde a l’air beaucoup plus normal. James aussi aimerait partir, mais tous ses souvenirs sont ici. Il dit : si mes parents avaient plus d’argent, on irait à Miami.
Dylan ne parle pas.
Elle regarde Peter Fire qui marche devant eux et longe les limites de la carrière. Elle se demande où il va. Elle ne l’a jamais vu par ici. Il n’a pas l’air de les avoir remarqués.
Peter Fire dépasse le skatepark, mais ne prend pas le sentier qui monte au-dessus. La première fois qu’il est venu, il a repéré un autre endroit un peu étrange accessible seulement à marée basse. Au fond de la carrière, près de l’eau, une sorte d’escalier creusé naturellement dans la roche permet de descendre sur les bancs de sable qui s’enfoncent sous la falaise.
Les lieux sont déformés par une surcouche qui s’effrite ; celle de la réalité dans laquelle il est mort.
Il caresse les parois de la falaise, dont le toucher est un peu granuleux ; certains morceaux tombent au sol. Dans un recoin, il y a des préservatifs usagés et des sacs plastique dégradés par l’eau.
Tu fais quoi ? demande Dylan.
Peter Fire se retourne et voit cette fille.
Il est gêné pour une raison qui n’a rien à voir avec ce qu’il cherche. Cette fille s’appelle Dylan et lui demande comment il s’appelle. Peter Fire, dit-il.
Ils parlent un peu, et puis ils s’assoient sur les marches de l’escalier.
Scott a allumé son enceinte JBL pour écouter une playlist de chansons tristes. Il parle d’une fille qui a quitté le collège et qu’il ne reverra jamais. Elle existera juste dans mes souvenirs, dit-il. Ouais, dit Troy. Il ne sait pas quoi ajouter.
Il demande : vous aussi vous avez peur d’être tués comme Ken ? James dit qu’il n’a pas vraiment peur de mourir de cette façon-là. Tu as peur de mourir comment ? demande Scott. Je sais pas, dit James, genre désintégré.
Scott regarde l’heure sur son téléphone. Merde, dit-il, faut que je rentre, sinon mes parents vont me griller. Il prend son enceinte et se lève. Attends je te suis, dit Troy. Ouais moi aussi, dit James, je vais pas rester là tout seul.
Peter Fire voit les trois garçons s’éloigner. Il demande à Dylan : tu les rejoins pas ? Non, dit-elle, en vrai je m’ennuie un peu avec eux. Ils parlent toujours des mêmes trucs.
La mer remonte par à-coups.
Dylan demande : alors, tu cherches quoi ?
Un trésor caché, dit Peter Fire.
Quel genre de trésor ? demande Dylan. Ça, je peux pas te dire, dit Peter Fire. Il voit que la curiosité de Dylan ne cache aucune mauvaise intention. Il dit : en fait, c’est un trésor avec un pouvoir magique.
Dylan se souvient d’une scène qu’elle a vue ici, deux ou trois nuits plus tôt.
Elle était au skatepark avec James. Ils écoutaient Frank Ocean chanter qu’il voulait voir le nirvana mais pas mourir tout de suite. À la fin de la chanson, ils ont entendu des voix qui arrivaient au-dessus d’eux et descendaient le sentier jusqu’à la carrière. Ils se sont cachés derrière une des rampes du skatepark. Des dizaines d’hommes avec des capes et des capuches avançaient les uns derrière les autres.
Ils ont marché jusqu’aux bancs de sable et se sont regroupés sous la falaise.
Dylan dit : on aurait dit qu’ils cherchaient une entrée, mais il n’y en a aucune dans la paroi de la falaise. Ils sont restés à peu près 30 minutes comme ça. Et puis ils ont fait demi-tour et ils sont partis.
Les yeux de Peter Fire brillent. Il avait raison. Si le passage ne s’est pas ouvert cette nuit-là, c’est parce qu’il a survécu. Le mot de passe et le sacrifice sont liés ; l’un ne marche pas sans l’autre. Il se demande quel est le délai entre le sacrifice et l’ouverture du passage.
Tu cherches le même passage, c’est ça ? demande Dylan.
Oui, dit Peter Fire, c’est à l’intérieur de la falaise que le trésor est caché. Et comment tu sauras que c’est le trésor ? demande Dylan.
Peter Fire pense à Stardew Valley. Dans ce jeu, un homme nommé Krobus vit tout au fond de la caverne du Crâne, qui se trouve au nord-ouest du désert de Calico. C’est le propriétaire du casino installé dans le désert.
Krobus est un homme difficile à trouver, mais une fois découvert, il donne des récompenses très rares, comme des œufs en or, des lits doubles et une reproduction de son chapeau.
Peter Fire se demande si le trésor caché à Myriad Pro est gardé par quelqu’un comme Krobus, ou s’il est juste à l’intérieur d’un coffre en bois posé sur le sol, comme dans Zelda.
Il s’imagine attiré par une force évidente.
Il dit : je sais que je le reconnaîtrai tout de suite.