65. Le long d'une tour radio désaffectée
Le long d’une tour radio désaffectée de 218 mètres de haut, une dizaine d’antennes paraboliques réparties sur toute la hauteur transmettent des informations. Il fait gris. Les lumières rouge et jaune qui s’allument par intermittence créent une ambiance post-nucléaire.
Mista entre dans une pièce trop étroite pour que même quelqu’un de seul s’y sente à l’aise. C’est comme au sommet d’un phare mais sans la grosse ampoule au milieu.
Diavolo lui tourne le dos. Il regarde dehors vers l’horizon les champs, les bosquets, les routes et les voitures. Le vert aussi est un peu gris. Depuis le haut de la tour, Diavolo pourrait voir à 40 km si ses yeux en étaient capables.
Alors, demande Diavolo, tu as vu Steve Midgar ?
Oui, dit Mista, il était là-bas.
C’est bien, dit Diavolo, je suis rassuré. Mista l’entend marmonner tout seul. Diavolo demande : je t’ai déjà parlé de Nan Madol, la cité des dieux ? Non, dit Mista.
Nan Madol était une capitale fondée sur Terre au temps des premiers hommes par deux sorciers jumeaux, Olishipa et Olosohpa. Les écrits de cette époque disent que ces deux sorciers étaient les maîtres de Mars, et qu’ils sont venus sur Terre pour y récupérer une énergie cachée dont ils avaient besoin pour leur propre planète.
Chaque sorcier jumeau possédait un artefact unique. Olishipa portait une couronne, et Olosohpa un médaillon avec une pierre rouge faite à partir du sable de Mars. Ces deux artefacts combinés leur conféraient la puissance de dieux. En plus, cette puissance était la seule capable de canaliser l’énergie terrestre pour la ramener sur Mars.
Olishipa et Olosohpa sont restés plus de 100 ans sur Terre, pour construire leur cité et faire avancer leurs recherches. Mais à la fin, ils sont devenus vieux et faibles. Les recherches ne donnaient rien. Ils ne trouvaient pas l’énergie cachée. Les rivaux des deux frères se sont multipliés à Nan Madol. Ils pensaient que les deux frères étaient trompés par une chimère et qu’ils avaient sombré dans la folie.
Une nuit, Olishipa et Olosohpa ont été tués, et leurs artefacts dérobés.
Quelques années plus tard, la population de Nan Madol a été décimée par une catastrophe naturelle, et depuis la cité des dieux est devenue un mythe. Diavolo dit : apparemment, elle serait tout au fond de l’océan Pacifique.
Et les artefacts ? demande Mista.
Les yeux de Diavolo s’illuminent. Qui sait ? dit-il.
Il change de sujet.
Il demande : pourquoi tu voulais me voir ?
Mista dit : à côté de la villa où était Steve Midgar, j’ai vu des choses dont j’aimerais m’occuper. Ça n’a rien à voir avec ma mission, mais ça me tient à cœur. Je voulais juste vous prévenir que je n’irai pas récupérer le corps tout de suite. Tu as besoin de combien de temps ? demande Diavolo. Un jour, peut-être deux, dit Mista. Je vais aussi en parler à la police.
Fais comme tu veux, dit Diavolo. Mais si dans deux jours tu n’as pas récupéré le corps, je te tue. Mista sait qu’il dit la vérité. Il le voit dans ses yeux. Pour la première fois, il voit l’aura de Diavolo. Sa couleur est tellement spéciale qu’il ne peut pas lui donner de nom.
Il quitte la salle et commence à descendre l’escalier.
Au même moment, au premier étage du supermarché, le directeur appelle steve-rice. Un inspecteur est passé ici tout à l’heure, dit-il. Il a récupéré les débris de ton téléphone.
Le directeur est assis dans un fauteuil en vrai cuir noir et porte un costume d’entrée de gamme mal taillé. Il pense à sa femme qui est seule dans un chalet à 600 km d’ici. Il pense au hamburger surgelé qu’il mangera ce soir. Il regarde la photographie d’une plage paradisiaque accrochée au mur. Il pense à ses futures vacances à Miami. Il pense : à Miami, je me sens libre.
OK, dit steve-rice, je m’en occupe. Il raccroche et appelle les sœurs Braska.
C’est Nami Braska qui décroche. Jessie et Yuna Braska sont assises à côté d’elle. Elles écoutent la conversation grâce à la fonction haut-parleur.
steve-rice dit : c’est urgent. Il indique la somme que ses employeurs s’engagent à payer.
Les sœurs Braska acceptent des contrats de 10 000 à 999 999 $. Elles ne s’occupent personnellement que des contrats qui dépassent les 799 999 $, sinon elles délèguent. Cette fois, la somme engagée et l’urgence de la mission justifient qu’elles interviennent toutes les trois.
OK, dit Nami Braska, on s’en occupe.
Je vous transmets un visuel de la cible, dit steve-rice. Il raccroche le combiné filaire de son Gigaset DA410 sur sa base noire.
Nami Braska fixe l’écran de son iPhone 11 Pro Max, mais rien n’apparaît. Derrière elles, une vieille imprimante laser multifonction s’allume et lance une impression.
Le visage de Copperfield est faxé très lentement, en bichromie.