62. Le matin vient après
Le matin vient après.
Les arbres sont entourés de brume et de vide. Trois policiers de la scientifique marchent lentement autour des corps pour faire des relevés salivaires et des photos en gros plan. La lumière atténuée du soleil rend triste. Copperfield est assis à l’arrière de sa voiture, en train de relire de vieilles notes dans son carnet.
À la radio, Brian Molko chante qu’une âme superbe mérite son île à elle.
À la fin de la chanson, le présentateur dit : on est avec Steve, qui voulait dédicacer ce son à son amie Marle. Il dit : Steve, tu voulais aussi en profiter pour lui faire passer un message, c’est ça ? Ouais, dit Steve, en fait j’ai appris qu’elle était morte pendant la nuit, donc je voulais juste lui dire que je savais que maintenant elle allait rejoindre Ken et qu’ils allaient être en paix.
Copperfield appelle aussitôt la radio pour pister Steve, mais la régie technique lui dit que son numéro est masqué.
Le plan d’eau est fermé. Des promeneurs s’agglutinent contre les grilles qui l’entourent. Certains prennent des photos avec leurs téléphones qui peuvent agrandir l’image jusqu’à huit fois. Un promeneur pense : j’aime les tueurs en série plus que ma femme.
Red arrive pour reconnaître le corps de Nick. Copperfield soulève le drap au-dessus de son visage. Red a une vision d’effroi ; le visage ne ressemble à rien. Copperfield remet le drap. C’est lui, dit-elle. Elle demande ce qui s’est passé. Je ne sais pas, dit Copperfield, je n’ai rien vu.
Il lui montre les cadavres de Marle et de m444rc. Red inspecte les corps et arrive aux mêmes conclusions que pour Lucca. Le mode opératoire est identique. Elle lui montre le front de Marle. Vous vous êtes renseignés sur cette couronne ? demande-t-elle. Non, dit Copperfield, je voulais en parler à Rivage, mais il avait toujours une autre piste plus urgente.
C’est dommage, dit Red. Ils reviennent près de sa voiture. Elle demande : et lui, comment il va ?
Copperfield pense au corps de Rivage sur la civière, que deux secouristes installent à l’arrière d’une ambulance. Il pense aux lumières dans la nuit. Je crois qu’il a subi un gros choc, dit-il. Tu peux aller le voir si tu veux, on m’a dit qu’il s’était réveillé.
Bonne idée, dit Red. Elle s’installe au volant.
Elle dit : tu sais, quand tu as commencé à travailler avec Rivage, je pensais que tu n’étais pas fait pour ce métier. Mais maintenant, je sais que Myriad Pro a de la chance d’avoir un enquêteur avec autant de courage que toi.
Merci, dit Copperfield.
Red s’en va ; une autre voiture croise la sienne en sens inverse. Les parents de Marle en descendent.
Copperfield montre le corps à la mère, pendant que le père reste dans la voiture. Il ne peut pas le supporter, dit-elle. Il faudra que j’inspecte sa chambre, lui dit Copperfield. J’aurai aussi des questions sur son club de natation.
Les parents de m444rc arrivent 15 minutes plus tard. Ils refusent de collaborer à l’enquête. Ils ne veulent pas savoir ce que cache vraiment la mort de leur fils. Ils disent à Copperfield qu’ils préfèrent garder un bon souvenir de lui. Le père dit : vous ne pouvez pas comprendre ce que les parents vivent à Myriad Pro.
Les corps de Marle et de Nick sont emmenés à la morgue. Celui de m444rc part au crématorium.
La scène est vidée, mais l’aura malsaine reste comme un gros nuage de pluie.
Copperfield retourne près de l’entrée. Il regarde le buisson où était caché Sam Delta. 5 minutes après son premier SMS, il en a écrit un autre : désolé je dois y aller, j’ai un truc urgent à régler chez moi. Depuis, son téléphone est éteint. L’annonce de son répondeur dit : salut, c’est Sam Delta, je suis sans doute en train de profiter un maximum de ma vie, donc pas la peine de me laisser de message.
Copperfield pense : il nous a trahis.
Il voit tous les gens devant les grilles qui regardent et prennent des photos. Il pense : cette ville est malade. Il prévient les deux policiers chargés de la sécurité qu’ils peuvent ouvrir.
Red arrive dans la chambre de Rivage.
Il est couché sur le côté et regarde le ciel dehors. Pluton est allongé par terre ; il a les yeux tristes et le museau contre le sol. Red leur tient compagnie pendant une heure, mais Rivage ne lui parle pas. Il reste tourné vers la fenêtre.
Un médecin entrouvre la porte et demande à Red : je peux vous parler ? Elle le rejoint dans le couloir.
Rivage n’a aucune séquelle physique, dit-il, mais il a subi un traumatisme profond, comme s’il avait assisté à la mort d’un proche. Dans ce genre de cas, les rémissions sont très longues. Il dit : je préfère vous prévenir, c’est possible qu’il ne redevienne jamais comme vous l’avez connu.
Red s’imagine retourner dans la chambre et voir un inconnu allongé sur le lit.
Il se retournerait vers elle et dirait : Red, qui suis-je ?
Elle saurait que c’est Rivage, mais elle ne pourrait pas le lui dire.
Au fait, demande le médecin, vous êtes de sa famille ? Vous êtes sa première visite depuis qu’il est arrivé ici. Non, dit Red, juste une amie. C’est très bien, dit le médecin, si ses amis sont là pour lui, il se remettra encore plus vite.