57. La veille
La veille.
Mista vient de tuer le gérant de l’Ultracheese.
Il passe par les toilettes pour essayer de nettoyer les éclaboussures de sang sur ses habits. Il rince son visage à l’eau froide. Il entre dans le bureau du gérant et fouille le pardessus accroché à un portemanteau. Il y trouve les clés qu’il cherchait.
Le bureau est décoré avec des objets d’inspiration western : une peau de bête, des bûches empilées, des trophées de chasse, une fausse botte de foin, des poignards indiens accrochés au mur et une selle en cuir posée sur un chevalet en bois. Il y a une photo du gérant et de sa femme avec des coiffes en plumes d’aigle et des traits de peinture rouge sur le visage.
Mista pense : drôle de passion.
Il sort de l’Ultracheese et va inspecter les trois hangars métalliques 200 mètres derrière. C’est une heure creuse ; aucune voiture ne stationne sur le parking. Mista sait qu’il sera déjà parti quand quelqu’un découvrira le cadavre du gérant.
Les trois hangars sont occupés par des machines et des stocks de marchandise. Diavolo avait raison. La BMW n’est pas là, et le corps non plus.
Mista retourne dans sa voiture. Il l’appelle et dit : le gérant est mort.
C’est bien, dit Diavolo. Et le corps ?
Ils ne l’ont pas, dit Mista.
Diavolo fait une grimace. Tu connais L’Alambra ? demande-t-il. De nom, dit Mista, je n’y suis jamais allé. Je pense que le corps est là-bas, dit Diavolo. Mais avant que tu y ailles, je veux que tu fasses un détour par une villa, et que tu me dises si cet homme y est.
Diavolo envoie l’adresse de la villa directement sur le GPS de la BM, et la photo de l’homme sur le téléphone de Mista. C’est qui ? demande Mista. Il s’appelle Steve Midgar, dit Diavolo. C’est tout ce que tu as besoin de savoir pour l’instant.
C’est un homme dangereux, dit Diavolo, donc prépare-toi avant d’aller là-bas. Et ne tue personne, s’il te plaît. OK, dit Mista, je me mets en route.
Au fait, dit Diavolo, j’ai remboursé les sœurs Braska. Ton carnage m’a coûté cher, essaie d’être plus discret la prochaine fois. En bonus, Diavolo leur a offert trois Jeep plaquées or. C’est un cadeau qui leur a fait plaisir parce qu’elles avaient déjà plusieurs Jeep, mais aucune en or.
Diavolo raccroche.
Mista suit le trajet préenregistré dans le GPS et arrive dans un quartier résidentiel privé.
Il est déguisé en livreur de pizzas.
Il sonne au portail d’entrée d’une immense villa de trois étages. Un type en short et en tongs lui demande de le suivre jusque sur la terrasse qui se trouve derrière. Il y a un petit apéro de luxe autour d’une piscine en forme de haricot.
D’autres types en short et en tongs sont allongés sur des transats, piquent de petites saucisses disposées sur le buffet et boivent des cocktails. Ils parlent de stock-options et de la meilleure façon de sortir du bunker placé devant le green du trou 11. Il y a aussi des femmes avec des maillots échancrés.
Mista reconnaît Steve Midgar, debout à côté du buffet.
Il pose les boîtes de pizzas sur une table de jardin en verre et tous les invités ont l’air contents. Il met le ticket de caisse sur la première boîte et dit : comme vous avez commandé 15 pizzas, vous avez 10 % de réduction et une bouteille de Coca offerte. Il sort la bouteille de sa glacière et la pose à côté des pizzas.
Tout le monde est ravi de cette réduction inattendue.
Deux femmes dans la piscine trinquent avec leurs coupes de champagne. L’une des deux dit : c’est un livreur en or. Mista rougit.
Oui, dit un type en short, ce genre de réduction fait toujours extrêmement plaisir. Il serre la main de Mista avec beaucoup de gratitude.
Mista remarque que le bord de la piscine est en marbre. À peu près tout est en marbre, sauf les flamants roses et les bouées qui sont en plastique. Une bouée est une balle de golf, une autre est une couronne, et une autre encore est un crocodile vert qui sourit.
Dans l’eau, Mista a l’impression de voir des traces de sang.
Il regarde une des femmes et lui dit : attention, je crois que vous vous êtes coupée.
Le visage de la femme se déforme. Elle a l’air horrible. L’autre femme laisse sa coupe de champagne encore pleine couler au fond de la piscine.
Un type s’approche de Mista et dit : ce n’est rien, vous avez dû faire une erreur. Trois autres types le rejoignent. Le même type dit : laissez-nous vous raccompagner.
Ça va aller, dit Mista, j’ai le chemin en tête.
Il prend l’argent de la commande et fait demi-tour. Dans sa précipitation, il se trompe de chemin et pénètre dans l’immense domaine de la villa. Au bout d’un moment, il parvient à une sorte de partie boisée de plusieurs hectares où la lumière et les arbres s’opposent.
Après 15 minutes de marche, Mista se perd.
Il arrive dans le jardin d’une autre maison. Elle est beaucoup plus banale que la villa d’où il vient. Les deux bâtiments font partie de la même propriété. Mista pense d’abord que c’est une sorte de dépendance ou de maison pour les domestiques, mais plus il s’approche, et plus il voit que ce n’est pas une vraie maison. C’est plutôt une sorte de décor de maison banale, comme une annexe de la villa pour tourner des films.
C’est comme au cinéma, pense-t-il.
Il passe par la terrasse et par la baie vitrée qui donne sur le salon. Tout est ouvert. Dans le salon, il y a un fauteuil, un canapé, une table basse, un meuble télé et des dizaines de catalogues pour acheter par correspondance. La tapisserie est orange, et le canapé bleu. Au mur, il y a un tableau qui représente des galets empilés.
Trois galets qui invitent au calme et à la contemplation.
Il entre dans la cuisine.
Et commence à comprendre à quoi sert cette maison.