En 884, à Tous.

Un alchimiste nommé Geber entre dans une pièce à peine éclairée par des bougies. Il étudie les qualités fondamentales des quatre éléments. Il pense : en réorganisant la composition des métaux selon les quatre principes élémentaires, je pourrais les transformer en métaux équivalents.

Il note des formules mathématiques sur un bout de parchemin.

Plus tard, il regarde par les carreaux d’une fenêtre.

Dans les champs autour de sa maison, des paysans cultivent des terres qui appartiennent à des seigneurs dont plus personne ne se souvient. Le ciel est gris et recouvre les forêts, les châteaux et les mers.

Après plusieurs expériences ratées, Geber parvient enfin à créer une pierre d’une couleur rouge, dont il tire une poudre de même couleur en la limant. Il la nomme élixir.

Cette poudre confère le pouvoir de la transmutation, qui découle des principes de réorganisation.

Un soir, après avoir entendu parler de ses recherches, des voleurs incendient la maison de Geber et le tuent. Ils cherchent la pierre, mais ne la trouvent pas. Ils volent les papiers sur lesquels il a écrit ses idées. Elles sont revendues les décennies suivantes par de riches négociants à de puissants rois, qui souhaitent dépasser les premières recherches matérielles de Geber.

Ils veulent transmuter des vies humaines pour acquérir l’immortalité.

En 1808, un érudit du nom de Paracelse écrit Le Livre sans paroles. Dedans, il raconte une expérience terrible qu’il a vécue après avoir utilisé malgré lui la pierre rouge.

Paracelse soupçonnait sa fille de quitter la maison certains soirs pour rejoindre de jeunes hommes avec lesquels elle entretenait des relations interdites.

Il avait des visions d’elle qui le mettaient en sueur.

Un soir, Paracelse l’a suivie. Elle portait une longue cape qui dissimulait son corps et son visage. Il est arrivé dans un bois à 4 ou 5 km de chez eux. Paracelse n’écrit pas précisément dans Le Livre sans paroles ce qui arrive à sa fille ce soir-là, mais il assiste à sa mort, au terme de supplices qu’il n’avait lus que dans des contes interdits. La peur l’empêche d’intervenir.

Une fois les jeunes hommes partis, il rentre lui aussi se coucher, et abandonne sa fille dans le bois. Il s’endort. Il fait de terribles cauchemars dans lesquels il la venge en tuant sauvagement des hommes dont il connaît bien les visages.

Il avait à côté de son lit une pierre, qui lui avait été transmise par un parent, et qui s’est mise à scintiller d’une lueur rouge étrange.

Le massacre qu’il commet dans son rêve, écrit-il dans Le Livre sans paroles, lui semble réel au point qu’il éprouve d’intenses douleurs dans tous ses membres, et que ses yeux palpitent.

La nuit passe.

Dès le lever du soleil, Paracelse a une intuition et se précipite dans la chambre de sa fille. Il la trouve bien endormie, en parfaite santé.

Il part ensuite se promener au village, heureux d’avoir fait obstacle à la destinée. Là, il trouve tous les habitants tourmentés et horrifiés. Cette même nuit, des pères de famille, des fils, des cousins et des oncles avaient trouvé la mort dans leur sommeil. Leurs corps avaient été battus et déchirés comme par les coups d’une bête.

Certains des villageois disent que la colère du ciel s’est abattue sur eux pour les punir d’avoir été mauvais.

Paracelse comprend les conséquences de son cauchemar et quitte aussitôt le village avec sa famille, pour ne plus jamais y revenir. Il emporte dans une valise la pierre, dont la taille et l’aura ont sensiblement augmenté.

Il avait sans le vouloir appliqué le principe de la transmutation humaine, en tuant quinze hommes de son village pour sauver l’âme de sa fille.

Aujourd’hui, cette pierre continue de circuler de main en main. Son pouvoir croît à mesure qu’elle engrange les sacrifices. Comme l’a écrit Paracelse dans sa conclusion du Livre sans paroles : tant que le sang coulera, la pierre grandira.