51. A 60 km de Myriad Pro
À 60 km de Myriad Pro, DuKeNuKeM-4D attend m444rc à un arrêt de bus. Il lui a demandé de l’accompagner chez Stivitybobo. C’est à lui que Peter Fire a parlé des mots de passe, donc il pourra mieux répondre si Stivitybobo a des questions.
Le bus de m444rc arrive et il en descend.
DuKeNuKeM-4D correspond exactement à l’image que m444rc se faisait de lui. Il est habillé comme Duke Nukem, avec des cheveux coiffés en brosse, des lunettes de soleil noires, un débardeur, un jean et des muscles.
T’es vraiment un gros fan de Duke Nukem, dit m444rc. Ouais, dit DuKeNuKeM-4D, depuis que je m’habille comme lui, je me sens mieux. Il évite juste de fumer le cigare. J’ai essayé, dit-il, mais je supporte pas le goût.
Ils marchent tous les deux jusque chez Stivitybobo. DuKeNuKeM-4D sonne à la porte.
Stivitybobo est maçon et vit dans un T2 rénové. Il demande qui est le gars à côté de DuKeNuKeM-4D. C’est m444rc,
dit DuKeNuKeM-4D, un gars du forum. OK, dit Stivitybobo, entrez.
DuKeNuKeM-4D et m444rc s’assoient sur un canapé en mousse. Stivitybobo s’installe en face d’eux sur un tabouret. Sur la table basse, il y a un cendrier et une manette de PS4.
Stivitybobo n’a pas l’air de se sentir très bien.
Il y a dix ans, quand il était au collège, Stivitybobo a découvert Banjo-Kazooie chez un ami. Il passait tous ses week-ends chez lui à le regarder jouer et à en parler. Quand il dormait, il y pensait aussi.
Un an et demi plus tard, Stivitybobo achète sa propre N64 et une cartouche de Banjo-Kazooie. Il dit : ce jeu m’a tout de suite obsédé. Plus il y jouait, et plus il voulait le finir vite. C’était comme une drogue, dit Stivitybobo.
C’est cette obsession qui a fait de Stivitybobo le speedrunner qu’il est aujourd’hui.
Il explique à m444rc et à DuKeNuKeM-4D qu’il y a beaucoup plus de glitches dans Banjo-Kazooie que dans tous les autres jeux sortis à la même époque. Même Super Mario 64 est plus stable, dit-il.
Les bugs sont tellement nombreux dans Banjo-Kazooie que le joueur peut passer à travers presque toutes les textures. Stivitybobo dit : c’est comme une maison où tous les murs seraient des portes.
Stivitybobo se ronge les ongles et bouge ses jambes à cause du stress. Il n’a pas envie de dire ce qu’il va dire ensuite.
Il dit : tous ces glitches créent des milliers de zones fantômes.
Il demande à m444rc et à DuKeNuKeM-4D d’imaginer : dans la même maison où les murs sont des portes, il y a entre chaque porte une autre pièce qui n’apparaît pas sur le plan d’origine. En fait, dit-il, vous ne savez jamais vraiment où vous vous trouvez.
m444rc s’imagine enfermé dans une pièce dont tout le monde ignore l’existence.
Stivitybobo explique que pour mieux exploiter les failles du jeu, les speedrunners ont pris l’habitude de jouer à Banjo-Kazooie sur PC. Ils ont même intégré un mod assez connu qui ajoute une option multijoueur. Avec ce mod, c’est presque un autre jeu, dit Stivitybobo.
Il dit : sur PC, la communauté a explosé, et les comportements étranges aussi.
L’ambiance devient pesante. m444rc transpire du front et DuKeNuKeM-4D des mains. Leurs corps sécrètent de l’adrénaline à un niveau inhabituel.
Une fois, dit Stivitybobo, dans Gobi’s Valley, j’exploite une faille sur un passage des sables mouvants. Elle doit me faire gagner 50 secondes. Mais je rate la faille et passe par erreur au travers d’une pyramide.
Et là, dit-il, je vois deux joueurs en train de discuter.
Ils étaient que tous les deux dans la pyramide, dit Stivitybobo. Deux Banjo et deux Kazooie l’un en face de l’autre. Je me suis dit : ils ne devraient pas être là. Je leur ai demandé ce qu’ils cherchaient et ils se sont déconnectés.
Quelques jours plus tard, lui et d’autres speedrunners enquêtent et découvrent que des joueurs se servent des pièces fantômes pour planifier des crimes. Et la plupart de ces crimes, dit Stivitybobo, impliquaient des enfants.
Les joueurs partageaient leurs informations écrites dans les bulles de dialogue. Ils parlaient dans un langage codé qui n’utilisait que les mots de passe du jeu. Chaque mot de passe faisait référence à une zone du jeu où se retrouver. Stivitybobo dit : en tout, il y a 76 mots de passe dans Banjo-Kazooie.
C’est un labyrinthe avec 76 points de téléportation.
Quand Stivitybobo et ses amis ont prévenu la police, elle n’a pas réagi. Les policiers ne comprenaient pas de quoi ils parlaient. Les flics savent à peine taper sur un clavier, dit Stivitybobo. Il pense à un policier qui tape une très longue phrase sur un clavier avec un seul doigt.
DuKeNuKeM-4D ne dit rien. Il pense à Banjo-Kazooie comme à une représentation moderne de l’enfer, avec des paysages artificiels à la place des flammes, et des pierres tombales anthropomorphes à la place des archanges déchus.
C’est terrible, dit Stivitybobo. Et en même temps, c’est la réalité.
Il regarde dans le vide.
m444rc demande : du coup, on fait quoi maintenant ?
Personne ne lui répond.