50. Rivage arrive au bureau
Rivage arrive au bureau. Il a acheté un tableau en liège qui se fixe au mur, de la ficelle et des punaises.
Il dit : avec ça, on y verra plus clair.
Ce tableau en liège est l’élément qui manquait au bureau de Rivage pour qu’il prenne tout son sens. Grâce à lui, l’harmonie s’installe. Le bureau est désormais une communion d’objets et de sensations millimétrée qui mène à la plénitude.
Copperfield apporte un carton rempli de tous leurs indices, qu’il pose sous le tableau. Il trie les éléments qu’il peut punaiser et ceux qui doivent rester dans le carton. Parmi ceux qu’il laisse, il y a la pierre retrouvée dans le champ et les débris de la porcelaine de dauphin.
Au milieu du tableau, il punaise une photo de la couronne sur la cuisse de Ken, et à droite une photo du bras de Lucca. Au-dessus de la photo de Ken, il punaise le bout de papier avec le mot de passe de Banjo-Kazooie retrouvé dans sa chambre. À gauche, il punaise les résultats des analyses de la roche.
C’est vrai qu’on a aussi oublié d’approfondir cette piste-là, dit Copperfield.
Dans le coin en haut à gauche, il punaise deux photos d’identité : celle du proviseur, et celle du gérant de l’Ultracheese. Sous chacune, il punaise les sachets hermétiques avec les balles qui ont servi à les tuer. Ce ne sont pas les mêmes balles.
Toujours à gauche mais au milieu, il punaise la photo d’identité de Nick. Dessus, Copperfield colle un morceau de scotch sur lequel il écrit : suspect n°1.
Sam Delta arrive à l’improviste parce qu’il a un problème dans sa villa.
Il dit que sa piscine a débordé à cause d’un truc qui bouchait l’évacuation, et maintenant son rez-de-chaussée est inondé. J’ai de l’eau partout, dit-il, tous mes meubles sont foutus. J’espère que ça ne vous dérange pas que je reste là, je ne savais pas où aller.
Non t’inquiète, dit Rivage, on est en train de ranger les indices pour y voir plus clair dans notre enquête.
À droite de la photo de Lucca, Copperfield punaise la photo de presse sur laquelle Marle est à la piscine, et aussi une prise de vue aérienne du quartier où elle les a semés. Il voudrait mettre une photo de Peter Fire entre Ken et Lucca, mais il se rend compte qu’il n’en a aucune.
À la fin, il arrache de son carnet la page avec le dessin du paysage mystérieux, et il la punaise sous Lucca.
Il en reste là.
Il fait quelques pas en arrière pour vérifier la cohérence de l’ensemble. Les victimes, le suspect, la couronne, le mot de passe, les analyses, le paysage, il ne manque rien.
C’est vrai qu’on y voit plus clair, dit Rivage.
Sam Delta regarde le tableau. Il demande : pourquoi vous n’avez pas mis mes photos du jumeau de Ken ? C’était une fausse piste, dit Copperfield. Ken n’a pas de frère.
Sam Delta n’aime pas le ton de Copperfield.
Il demande : qu’est-ce que tu sous-entends ?
Pluton voit l’aura de Sam Delta prendre une teinte beaucoup plus foncée. Les animaux n’ont pas besoin d’entraînement pour voir les auras. C’est instinctif.
Rien, dit Copperfield, on a juste perdu du temps.
Comme Rivage l’a déjà appris à Copperfield, chaque personne a une aura d’une couleur et d’une intensité différentes. Toutes les couleurs ont un sens et une force. Une aura rouge, marron, grise ou noire enveloppe des personnalités négatives, voire maléfiques. À l’inverse, une aura bleue, blanche, jaune ou verte correspond à des personnalités pacifiques ou pures.
Ce sont les principes de base de l’aura. Bien sûr, une personnalité maléfique peut se cacher derrière une aura blanche, ce qui la rend encore plus dangereuse.
En plus des couleurs, il y a les teintes. Plus la couleur est foncée, et plus l’aura est alimentée et nourrie par les sentiments correspondants. Une aura d’un noir profond veut dire que son possesseur va bientôt commettre un crime. À l’inverse, une aura d’un blanc aveuglant signifie que son possesseur est une quasi-divinité.
Encore une fois, ce sont les principes de base.
Ce que Pluton voit, c’est l’aura rouge sombre de Sam Delta qui s’oppose à l’aura bleu nuit de Copperfield. Sam Delta est dominé par sa jalousie, et Copperfield par sa quête de vérité. Pluton voit aussi que le tableau en liège diffuse une légère aura vert pastel. C’est Rivage qui a transmis sa propre aura pacificatrice à l’objet en l’accrochant au mur.
Mais l’aura du tableau en liège ne peut pas maintenir la plénitude dans le bureau à cause de la force des deux autres auras qui s’affrontent. Rivage doit apaiser la situation, sinon elle va dégénérer.
Il dit : allez, c’est bon, je sais que tout le monde fait de son mieux.
Sam Delta dit : j’ai compris, je vous laisse entre pros.
Il se calme et va s’asseoir à un autre bureau libre à l’écart. Il ouvre son Acer Inspire 3. Il a fait installer sept caméras de surveillance dans sa villa et autour pour surveiller les ouvriers venus réparer les dégâts et déboucher sa piscine. Toutes les pièces filmées en temps réel avec une définition Full HD lui donnent l’impression que sa maison est le décor d’un film de cinéma.
Les ouvriers font bien leur travail comme prévu.
Sam Delta est rassuré de voir que tout fonctionne normalement, même en son absence.
Copperfield veut qu’ils analysent en priorité le dessin du paysage mystérieux. Ils doivent découvrir quel lieu de Myriad Pro il représente. Rivage n’est pas d’une grande aide parce qu’il se promène toujours aux mêmes endroits.
Il pense que les deux dômes représentent peut-être le gros bâtiment du golf de L’Alambra. Il les a aperçus une fois de loin, et la forme ressemble un peu. Sam Delta dit : rien à voir, ça se voit que t’es jamais allé là-bas. À mon avis, c’est la station d’épuration.
Je croyais que tu nous laissais entre pros, dit Copperfield.
Rivage demande ce que représente la tige avec la boule au bout : c’est un lampadaire, ou un truc du genre ?
Ouais je sais pas, dit Copperfield, c’est peut-être un élément plus symbolique.
Rivage pense à un mode d’emploi qui expliquerait comment découvrir la vérité et sauver les adolescents. La première étape serait : découvrez la vérité, et la seconde : sauvez les adolescents. Mais avec des illustrations qui permettent de comprendre facilement comment faire.
Depuis que quelqu’un a eu l’idée de mettre des illustrations dans les modes d’emploi, pense Rivage, tout est beaucoup plus simple, et maintenant les gens montent des milliers de meubles sans aucun souci.
Des enquêtes aussi bien illustrées permettraient de sauver des milliers de vies par jour.
C’est le rêve de Rivage.
Il sort de ses pensées et voit Copperfield en train de chercher de vraies solutions sur son ordinateur. Il ne sait pas quoi faire. Il aimerait bien lancer une partie de Mario Kart, mais il a peur que Copperfield le prenne mal.
Pluton le regarde en tirant la langue.
Rivage prend sa laisse et dit : je vais promener le chien.