46. La tête du gérant de l'Ultracheese
La tête du gérant de l’Ultracheese est ouverte en deux. Tout son visage entre le menton et les yeux a disparu ; le reste est en charpie.
Eh ben, dit Rivage.
Il prend un menu qui traîne sur le comptoir du bar, un peu sali par le sang. L’Ultracheese est un pub grand public avec une belle gamme de choix type hamburgers, pizzas, glaces, et puis un paquet de planchas. Le pub est franchisé Plancha-Pizza, chaîne connue pour ses pizzas cuites à la plancha. Les hamburgers aussi sont cuits à la plancha. Tout est cuit à la plancha en fait, dit Rivage.
Oui, tout, dit Copperfield. Il lui montre la couverture du menu. Rivage lit : 100 % PLANCHA, écrit en gras dans une étoile rouge.
Pourquoi pas, dit-il.
Copperfield se souvient du verre qu’il a partagé ici avec Mista.
Il regarde la tapisserie aigue-marine aux murs et au plafond.
Il se doutait bien que ce lambris cachait quelque chose. Il dit : le gérant enlève son lambris et deux jours plus tard il prend trois balles dans la tête. Il pense que c’est un mode opératoire un peu trop radical pour récupérer l’argent de la caisse.
Rivage pense au lobby pro-lambris.
Sam Delta lui a expliqué que différents lobbys exerçaient leur influence à chaque étape de la construction ou de la rénovation d’une maison. Le choix des parpaings pour les murs porteurs est conditionné par un lobby, tout comme la pose de carrelage au sol ou l’épaisseur d’isolant dans les combles.
Sans les lobbys, lui a expliqué Sam Delta, tout le monde vivrait avec un maximum de confort dans des cabanes en bois et paierait à peine 2 $ d’électricité par an.
Rivage pense au lambris dans sa mezzanine, qui assombrit tout le premier étage. Il voulait l’enlever pour mettre de la peinture à la place, mais il ne faudrait pas que le lobby pro-lambris le tue comme il a tué le gérant de l’Ultracheese. C’est trop risqué, pense Rivage.
Ils font le tour de la salle principale, des cuisines et des bureaux pour trouver des indices. Ils n’en trouvent pas, puisque tout a été brûlé par les ouvriers lors du changement de déco. Copperfield pense que c’est aussi comme ça que les souvenirs disparaissent.
Rivage se sert une pression derrière le comptoir et s’installe à une table. D’autres policiers vont et viennent dans le pub pour faire leur boulot. Cet assassinat est une nouvelle piste dont ils ne savent pas si elle a un lien avec le meurtre de Ken. Copperfield visualise toutes les pistes comme des bulles isolées qui flottent dans l’air et ne fusionnent jamais.
Rivage dit : leur bière est bonne.
Copperfield regarde par terre.
Aux pieds de Rivage, il y a un chien.
Copperfied trouve qu’il ressemble au chien cosmonaute. Il a le même foulard de la NASA autour du cou. Il est à qui ce chien ? demande Copperfield. C’est pas celui de la NASA ? C’est bizarre qu’il soit là, je croyais qu’il devait atterrir dans le Pacifique.
C’est vrai que c’est bizarre, dit Rivage. Il faudrait peut-être prévenir ses maîtres.
Le chien fixe le verre de Rivage, qui se met à léviter au-dessus de la table. 40 cm séparent le verre du plateau en bois. La bière à l’intérieur ne bouge pas. Copperfield dit : il fait de la télékinésie.
Il dit : je ne savais pas que les chiens pouvaient faire ça.
Rivage dit : c’est peut-être son voyage sur Mars qui lui a donné ce pouvoir.
En même temps, dit Copperfield, les fourmis se déplacent à 0,855 m/s, et les scarabées peuvent porter jusqu’à 1 141 fois leur poids, donc tout est possible.
Rivage parle à Copperfield d’un article qu’il a lu à propos des animaux, dans un magazine sur les voyages temporels. C’était un magazine que Sam Delta lui avait prêté. Apparemment, dit-il, grâce à leur instinct, ils peuvent se téléporter où ils veulent dans le passé et le futur.
Dans l’article, le scientifique prenait l’exemple d’un chat qui fixe le vide. L’opinion la plus répandue, c’est qu’il voit un esprit invisible aux yeux des humains. Mais en réalité, il serait en train de se projeter physiquement des millions d’années plus tôt dans une jungle préhistorique.
Les animaux sont très mal connus, dit Rivage.
Dans le même article, le scientifique expliquait que si les chevaux n’avaient pas été domestiqués ou tués par les humains pendant des siècles, ils seraient aujourd’hui de parfaites divinités omniscientes vivant en simultané dans toutes les strates du temps.
Le scientifique les appelait les Divins Équins.
Vous avez toujours ce magazine ? demande Copperfield.
Non, dit Rivage, je l’ai rendu à Sam Delta. Dommage, dit Copperfield, ça avait l’air intéressant.
Le chien repose le verre sur la table. Il tire la langue et ferme les yeux. Rivage caresse son front. Il lui dit : je t’aime bien. Comme tu reviens de l’espace, je vais t’appeler Pluton.