Derrière le supermarché, entre les bacs de poubelles et des dizaines de packs de boissons. De là, il y a une vue correcte sur plusieurs hectares de terres agricoles. Quatre caméras de surveillance couvrent le périmètre.

steve-rice demande : pourquoi t’es pas venue hier ?

Deux flics sont passés chez moi, répond Marle. Ils ont trouvé mon sang au skatepark et ils voulaient me poser des questions sur la mort de Ken. L’aura qui enveloppe steve-rice est d’un violet sombre. J’ai eu peur qu’ils me suivent, dit Marle, donc je suis restée à la maison.

Tu aurais pu me prévenir, dit steve-rice, mais bon c’est pas grave.

L’une des caméras est dirigée vers les packs de boissons ; une autre filme Marle.

Et tu leur as dit quoi ? demande-t-il.

Rien, je te promets, dit Marle. Ils m’ont posé des questions sur des photos de pédophiles et ils voulaient savoir si Ken avait un lien avec le proviseur du collège. J’ai été dans leur sens et j’ai répondu ce qu’ils voulaient entendre.

Le bas de sa mâchoire tremble sous l’effet du stress et contracte trois de ses sept vertèbres cervicales.

Je sais que tu me mens, dit steve-rice. Il sort de l’ombre où il se tenait caché et montre à Marle une photo qu’il a prise de Rivage et de Copperfield à la carrière. C’est toi qui leur as parlé de cet endroit, dit-il.

La contraction nerveuse et musculaire localisée se diffuse jusqu’au cerveau de Marle, où la zone mémorielle commence à dysfonctionner. Elle vit le reste de sa conversation avec steve-rice comme une succession de scènes mal coupées.

steve-rice écrit sur un Samsung SGH-X480 un message qu’il fait lire à Marle avant de l’envoyer. Elle comprend aussitôt ce que ce message veut dire. Vous pouvez pas me faire ça, dit-elle. Elle lui promet qu’elle n’a rien dit.

Pourtant, Marle sait bien que les mensonges ne produisent aucun effet.

Elle se jette sur le téléphone pour empêcher steve-rice d’envoyer le message. Il la retient par un poignet et le lui tord pour qu’elle se résigne. Il voit la détresse dans le regard de Marle à genoux, mais son regard à lui ne renvoie aucune émotion. Plus il prend de plaisir à manipuler Marle, et plus la violence de son aura augmente.

Le message se glisse tout seul dans une enveloppe virtuelle qui s’en va grâce à la 3G vers le téléphone du destinataire.

Tu sais Marle, ce n’est pas moi qui décide, dit steve-rice. Je ne fais qu’exécuter les ordres. Il casse le téléphone en deux coups de talon et jette les débris sur un sentier de terre qui borde le champ le plus proche.

Il se dirige vers les packs de boissons et ouvre une canette de Pepsi. Il demande à Marle si elle en veut une. Elle ne lui répond pas. Il boit trois gorgées du Pepsi chaud et lui conseille de bien profiter de chacune de ses journées d’ici là.

Il la laisse à genoux sur le bitume et retourne dans le supermarché par la réserve.

Au fond du champ derrière le supermarché, un fermier conduit son tracteur. C’est le fermier chez qui Rivage s’est arrêté et qui fait sa moisson tranquille. Il pense à sa fille et à la fusée qu’il est en train de construire pour la rejoindre. Il réfléchit aux différentes options pour atteindre le trou noir sans être écrasé par la gravité. Il y a quelques détails qui ne fonctionnent pas dans son prototype, mais il se donne encore un peu de temps pour l’améliorer.

Il veut faire les choses bien.

Tout à l’heure, il a vu deux personnes en train de parler derrière le supermarché, en tout petit. Maintenant, il ne voit plus qu’une seule personne. 3 minutes plus tard, cette autre personne aussi s’en va, et il n’a plus rien à voir.