Le collège est fermé jusqu’à ce que le proviseur soit remplacé.

Les adolescents vont sur la plage pour discuter et attendre. Ils partagent des frites et deux d’entre eux sortent leurs decks de cartes pour faire une partie de Yu-Gi-Oh!

Le premier joue le Gardien Celte, un elfe qui a appris à manier l’épée et qui déroute l’ennemi par des attaques éclairs. L’autre joue le Bras Droit de l’Interdit. C’est un bras droit interdit scellé par la magie. Toute personne qui rompt son sceau connaît la puissance infinie.

Le Bras Droit de l’Interdit est une des cinq cartes qui forment le combo d’Exodia le Maudit.

Exodia est un homme qui a été enchaîné dans un cachot souterrain après avoir violé un sanctuaire sacré. Sa captivité loin des autres hommes a duré 1 000 ans. À la fin, il ne faisait plus la différence entre le bien et le mal, et il s’est transformé en monstre surpuissant.

Le pharaon qui retenait Exodia prisonnier l’a enfermé dans cinq tablettes en pierre pour mieux contrôler son pouvoir.

Ce pouvoir engendrait le chaos.

5 000 ans plus tard, l’archéologue Maximillion Pegasus, PDG d’Illusions Industrielles, découvre les tablettes d’Exodia dans un tombeau antique et les transforme en cartes.

L’attaque et la défense d’Exodia n’ont aucune limite.

10 tours plus tard, celui qui avait posé le Bras Droit de l’Interdit pose les quatre autres cartes du combo d’Exodia le Maudit et gagne aussitôt le duel.

L’ambiance autour du skatepark de la digue est devenue glauque. C’est comme dans les villas abandonnées de Miami, quand les piscines vides se remplissent de feuilles mortes.

Dans le ciel, un objet tombe à plus de 600 km/h.

Sam Delta a installé son transat dans un coin tranquille de la plage pour profiter du soleil. Il lit un magazine sur les intelligences artificielles. Il apprend l’existence de robots capables d’interpréter les émotions humaines et de s’adapter aux interlocuteurs.

Des ingénieurs ont même conçu un double robotique d’un habitant de Copenhague, qu’il a fini par croire plus réel que lui. Après trois mois à vivre dans une forme de schizophrénie inédite, cet homme s’est suicidé et le robot à son image a été détruit. La famille a demandé que les deux soient enterrés au même endroit.

Sam Delta entend un adolescent hurler et il arrête de lire.

Le cri vient du groupe qui joue aux cartes et mange des frites.

Sam Delta regarde les adolescents avec une intensité qui le rend perturbant. Il ne voit pas ce qu’ils font, mais il les entend rire. Il ne comprend pas. Un des adolescents le surprend en train de les regarder. Il lui demande : y a un problème ?

Sam Delta ne détourne pas les yeux.

Le même adolescent se lève et s’approche. Il dit : toi aussi t’es un pervers hein, comme le proviseur. Deux de ses amis le rejoignent. Sam Delta reste bien allongé dans son transat ; il a posé son magazine dans le sable, mais garde la page qu’il lisait avec un doigt.

Alors, demande le premier, tu lis quoi ?

Un autre dit : il doit lire les mêmes trucs de porc que le proviseur.

Ouais, dit le dernier, des trucs de tarés.

Sam Delta pense à la première fois que quelqu’un lui a dit ça au lycée. Quatre gars viennent de le tabasser et son visage est en sang. T’es une merde Sam, entend-il, t’es vraiment un taré. Putain Sam, entend-il, y a pas de place ici pour des tarés comme toi. Il se recroqueville sur le sol. Les tarés, on les enterre vivants, entend-il à la fin. Il ferme les yeux et s’endort. L’aura autour de son corps devient plus faible. Un long moment passe et il commence à avoir froid.

Il sent une main sur son épaule, qui le remet sur le dos. Ça va, entend-il, tu as besoin d’aide ? Quand il ouvre les yeux, il y a un nouveau visage.

Rivage est là.

Dans le groupe toujours assis, une fille dit : c’est bon les gars, laissez-le, on s’en va.

Les trois adolescents regardent encore Sam Delta pendant 15 secondes, puis ils font demi-tour. T’as de la chance aujourd’hui, dit le premier, mais on t’oublie pas. Sam Delta les voit ranger leurs affaires et s’en aller. Il reprend sa lecture, mais l’histoire ne l’intéresse plus.

Le groupe quitte la plage et marche jusque chez une fille à qui les parents ont laissé la maison pour trois jours, de l’autre côté de Myriad Pro. À la moitié du trajet, ils passent devant le cimetière.

L’ambiance n’est pas la même que sur la plage.

88 personnes sont réunies pour l’enterrement du proviseur. Des proches prennent la parole à tour de rôle et jettent des fleurs sur son cercueil. Une femme qui n’était sans doute pas invitée crache sur le cercueil et est raccompagnée à la sortie par deux hommes en costume.

Sur un portrait de lui posé à côté de la pierre tombale, le proviseur sourit. À l’arrière-plan de cette photo, Copperfield devine deux autres hommes en train de discuter sur un parcours de golf. Ils sont trop loin sur la photo pour que Copperfield les identifie.

À la fin de la cérémonie, le fils du proviseur sort son saxophone et joue un morceau émouvant.