Copperfield arrive à l’Ultracheese. Des ouvriers sont en train de démonter le lambris. Le gérant essuie des verres derrière le comptoir du bar.

Copperfield lui demande : pourquoi vous faites ça ? Le gérant arrête d’essuyer le verre qu’il a entre les mains. Ça quoi ? demande le gérant. Essuyer mes verres ? Non, dit Copperfield, pourquoi vous enlevez le lambris ?

Le gérant dit : j’avais juste envie de changer la déco.

Copperfield regarde les ouvriers aller et venir dans le pub avec des planches de lambris sous le bras. Ils poussent des brouettes pleines de faïence. Copperfield se rend compte qu’avec le lambris en moins, la hauteur sous plafond est énorme. Un peu comme si le lambris avait caché une autre pièce au-dessus de la salle de restaurant.

Au mur, l’écran plasma diffuse un flash info de la NASA sur la disparition du chien cosmonaute.

Un ingénieur dit : je suis inquiet. Il est assis dans un bureau avec des posters de la Voie lactée et de constellations. Le plan est composé de telle façon que l’ingénieur a l’air coincé sur le bord gauche du cadre. À droite, il y a un large espace qui donne sur la fenêtre de son bureau, avec une vue sur le parc à l’extérieur.

C’est un drôle de plan, pense Copperfield.

Plus l’entretien avance et plus l’image zoome pour se concentrer sur la partie droite, avec la fenêtre et le parc. L’ingénieur finit par sortir du cadre. Copperfield l’entend toujours parler de trucs compliqués en rapport avec le chien, Mars et les fusées.

L’image continue d’avancer et traverse la fenêtre jusque dans le parc.

Un homme d’affaires est assis sur un banc. Il tape sur le clavier d’un ultraportable IBM noir. Il a mis du scotch sur sa webcam pour ne pas être espionné. Il est dos à la caméra, qui continue de zoomer sur son écran anti-reflets. Dans une fenêtre IRC, il écrit que sa femme doit se douter de quelque chose.

Copperfield a juste le temps de lire cette phrase.

Le plan revient sans transition sur l’ingénieur. Il dit : il y a des chances que ce projet se retourne contre nous.

L’émission suivante est consacrée aux hits pop-rock de la décennie. Copperfield ne connaît aucun des hits du top 10 car il n’écoute pas ce genre de musique.

Copperfield demande au gérant s’il n’a rien trouvé de particulier en enlevant son lambris. Le gérant ne comprend pas ce qu’il sous-entend par particulier. De bizarre quoi, dit Copperfield. Non, pas que je me souvienne, dit le gérant.

Copperfield trouve sa réponse un peu trop rapide pour être vraiment honnête. Si Rivage avait été là, il aurait pu dire si le gérant mentait ou non. Des fois, Copperfield aimerait bien lire dans les pensées des gens. Mais pour devenir clairvoyant, il doit d’abord ouvrir son troisième œil, ce qui nécessite un esprit pur, altruiste et honnête.

Copperfield ne possède pas encore ces trois qualités.

Il pense à la meilleure façon de déclencher son pouvoir. Il pourrait poser l’index et le majeur de sa main gauche contre sa tempe, ou froncer légèrement les sourcils, ou juste concentrer son attention sur son objectif.

Il a lu dans un livre de méditation que tous les êtres humains pouvaient dégager une aura qui augmentait certaines capacités physiques et mentales en utilisant des zones cachées du cerveau. Cette aura prend la forme d’une onde électromagnétique qui enveloppe le corps et change de couleur selon son possesseur.

Il y a des auras bleues, blanches, rouges, violettes ou noires, qui ont toutes une particularité.

Par exemple, les déjà-vu et les réflexes de survie sont des capacités primaires qui précèdent l’éveil complet de l’aura.

Un ouvrier casse par erreur un morceau de faïence sur le sol et sort Copperfield de ses pensées. Copperfield regarde la brosse pousser les gravats dans la pelle. Il regarde le visage de l’ouvrier, qui lui rappelle quelqu’un.

Le gérant essuie d’autres verres.

Copperfield lui dit : je vais pas vous embêter plus longtemps, passez une bonne journée. Le gérant lui souhaite aussi une bonne journée.

Dehors, Copperfield voit une colonne de fumée dans le terrain d’à côté. Il comprend qu’il est arrivé trop tard. Un autre ouvrier est en train de brûler les planches de lambris. Dans les flammes, des liasses de factures et de contrats finissent de se consumer en se recroquevillant.