23. Rivage interroge le proviseur
Rivage interroge le proviseur depuis 15 minutes. Ils sont tous les deux dans une petite pièce avec une fenêtre barreaudée, un bureau, deux chaises, une vitre sans tain et un système pour menotter les chevilles du proviseur au sol.
Rivage a commencé par lui offrir un café. Le café est une entrée en matière classique pour un interrogatoire. Elle permet de créer une proximité avec l’interrogé et de gagner sa confiance.
Si le café est bon, c’est encore mieux, car symboliquement l’interrogé échange ses informations contre le plaisir du café. Si le café est mauvais, l’interrogé perd sur tous les plans, car non seulement il est manipulé, mais en plus il doit boire un mauvais café.
Le café distribué par la machine du commissariat est plus mauvais que bon. Rivage s’en est servi un aussi, mais il n’a pas pris de plaisir à le boire. Il est donc de mauvaise humeur et n’a pas envie d’être gentil avec le proviseur.
Il lui montre plusieurs des images d’enfants volées sur son ordinateur et lui demande qui les lui a envoyées. Le proviseur ne veut pas répondre. Si le café avait été meilleur, il aurait peut-être répondu.
Rivage s’assoit sur un coin du bureau. Il explique au proviseur qu’il peut le tuer sans souci en faisant comme si c’était un accident. Il dit : par exemple, je peux vous étouffer avec votre langue. Si le proviseur pouvait voir l’aura de Rivage, il la verrait d’une couleur entre le violet et le noir, et il comprendrait que les menaces de Rivage sont vraies.
Mais le proviseur n’a aucune idée de ce qu’est l’aura.
Il continue de cacher ce qu’il sait. Rivage est obligé de lui montrer ce que ça fait que d’avaler sa langue. Ce n’est pas un moment très agréable dans la vie du proviseur.
Il finit par dire à Rivage que son interlocuteur sur Dream Market s’appelle Mr Caramelo.
Toutes les transactions financières pour acheter les photos se faisaient en bitcoins, et il les recevait sous la forme de fichiers cryptés 24 heures plus tard.
Le proviseur se souvient qu’après sa première commande il a reçu dans sa boîte aux lettres une carte de visite avec le logo et l’adresse postale de Mr Caramelo. Le proviseur n’avait jamais donné son adresse à Mr Caramelo. Il a supposé que la réception de cette carte de visite devait le prévenir que Mr Caramelo savait où il habitait et qu’il saurait où le retrouver si jamais il parlait de son commerce à la police.
Cette carte de visite servait d’avertissement et de menace.
Aujourd’hui, le proviseur est en train de parler du commerce de Mr Caramelo à la police, et Mr Caramelo l’a donc retrouvé. La menace est là. Mr Caramelo a même engagé une tueuse à gages pour faire taire le proviseur. Elle vient juste d’appuyer sur la gachette de son fusil sniper.
La balle met 2 secondes pour traverser la tête du proviseur.
Le problème avec les snipers, c’est qu’ils sont toujours tellement loin que personne n’arrive à anticiper ce qu’ils vont faire. La prochaine fois, Rivage évitera d’asseoir son suspect n° 1 à côté d’une fenêtre.
Il regarde le cadavre du proviseur à moitié étendu sur la table.
Il pense à Mr Caramelo.
Un policier arrive en courant dans la pièce et demande : on fait quoi maintenant inspecteur ?
Rivage se tourne vers le policier et le regarde les yeux dans le vide, comme s’il n’avait pas compris sa question. D’autres policiers entrent dans la pièce et entendent le bruit des gouttes de sang qui éclatent par terre et forment une petite flaque.
Ce bruit encombre l’espace mental de Rivage.
Il a une vision de la roche retrouvée près de Ken dans le champ.
Il se souvient du goût de la substance qui était déposée dessus, et qu’il a prise pour de la terre. C’est normal de ne pas réussir à différencier la terre du sang, mais par précaution il aurait dû garder la roche.
Il essaie de se souvenir de la direction dans laquelle il l’a jetée et de la force de son jet, pour visualiser précisément sur quel talus elle a atterri. Mais dans les champs tout se ressemble et ce n’est pas facile de discerner une zone précise.
Il cherche longtemps dans sa mémoire et met de côté quelques images plus précises.
Il doit retourner là-bas et retrouver la roche.
Avant de partir, il tape mr caramelo sur Google. Il tombe sur le compte Instagram d’un bodybuilder de Miami suivi par plus de 200 000 personnes. Rivage pense à l’hygiène de vie impeccable qu’il doit s’imposer au quotidien pour obtenir ce corps de rêve.
Sa ceinture abdominale est parfaite.
Il y a 98 % de chances qu’il ne soit pas le Mr Caramelo que Rivage recherche.
D’après Rivage, un homme qui passe déjà 90 % de ses journées à se forger un corps de rêve ne peut pas consacrer son temps libre à la vente de photos pédopornographiques.
Son temps libre, il le passe à répondre à sa communauté sur Instagram et à cuisiner des plats équilibrés qui respectent son régime. En plus, il doit être soutenu financièrement par des marques de protéines alimentaires. Il n’a donc pas besoin de vivre du marché noir ou du commerce pédopornographique.
Les sportifs de haut niveau sont des personnes sincères et honnêtes. Il suffit de voir leur petite tête souriante qui dépasse entre leurs deux épaules énormes.
On ne peut que les trouver gentils, pense Rivage.
Il arrête de suivre cette piste et revient à sa vision de la roche. Il espère qu’elle est toujours là où il l’a jetée. Il éteint son ordinateur, enfile sa veste et laisse sur la boîte vocale de Copperfield un message qui lui explique où le rejoindre.