Il y a une route vue du ciel qui sinue entre les sapins d’une forêt de sapins.

Daisuke regarde par la vitre à sa droite le flou des sapins confondus à cause de la vitesse.

Tout va bien monsieur ? lui demande son chauffeur. Le haut de son visage se reflète dans le rétroviseur central. Je ne sais pas, dit Daisuke. Je crois que j’ai la nausée. Vous voulez que je m’arrête ? demande le chauffeur. Oui, dit Daisuke.

Le chauffeur ralentit et se déporte sur le côté, dans une zone meuble beige couverte d’aiguilles. À peine la voiture arrêtée Daisuke ouvre sa portière et se jette au sol pour vomir. C’est de la bile qui coule en filet hors de sa bouche. Il crache la fin et s’essuie la bouche avec le mouchoir que lui tend son chauffeur. Il dit : j’ai besoin d’être seul.

Le chauffeur retourne s’installer au volant.

Daisuke s’enfonce entre les premiers sapins qui se présentent devant lui. Une fois qu’il est arrivé au niveau de la forêt où la route n’est plus visible, il s’adosse contre un tronc et envoie un message à sa soeur.

Il dit :
je n’ai pas la force de venir

Midori dit :
tu m’avais promis

Daisuke dit :
je suis désolé
je reviendrai dans quelques jours

Midori dit :
je n’en peux plus
de rester toute seule ici

Daisuke dit :
je t’écris bientôt
je t’aime

Il range son téléphone dans sa poche et lève la tête vers le peu de ciel encore visible entre les branches. Rien ne lui vient. Tous les anges ont quitté le territoire.

Midori jette son téléphone contre le mur de sa chambre et prend un coussin pour crier dedans. Sa grand-mère ouvre la porte parce qu’elle s’inquiète du bruit qu’elle vient d’entendre. Quand elle voit la détresse de Midori elle s’assoit à ses côtés et la prend dans ses bras. Elle demande : c’est ton frère ?

Je le hais, hurle Midori. Je ne veux pas rester ici. Je vais mourir si je reste ici. Ça va passer, dit sa grand-mère. Allez, viens, on va manger.

Midori mangera le repas préparé par sa grand-mère, sans protester, sans dire un mot à table qui pourrait trahir son état d’esprit, sage d’une façon qui la rassurera et lui fera baisser sa garde. Puis elle retournera dans sa chambre en lui souhaitant une bonne nuit, fera semblant de dormir après avoir éteint la lumière, attendra qu’il soit assez tard, s’assurera que sa grand-mère dorme, l’apercevra la bouche ouverte dans son lit, glissera dans les couloirs avec un simple sac à dos, quittera la maison et s’enfoncera dans la forêt de sapins, où les troncs comme des portails la guideront vers le futur.

Daisuke se réveille en sursaut.

Il pense : Midori est en danger.

Il touche ses joues et s’aperçoit que ses yeux ont pleuré pendant son sommeil. Il s’habille et appelle son chauffeur, qui ne répond pas. Il lui laisse un message dans lequel il dit : on doit retourner dans la forêt. Comme un quart d’heure plus tard le chauffeur n’a toujours pas répondu il va frapper à la porte de sa dépendance.

La porte s’ouvre toute seule quand il frappe.

Il allume l’interrupteur de l’entrée et découvre le chauffeur étendu sur le sol avec une balle dans la tête. Les ténèbres se sont infiltrées dans la villa et répandent leur brume crasseuse car dans une autre chambre c’est le cadavre de son père qu’il découvre. Là encore, une seule balle dans le front : le sang coule depuis la blessure jusque sur le nez, la bouche, le menton et les vêtements.

Le maire de Miami vient d’être assassiné.

Il n’y a aucune lettre ni demande pour accompagner le geste.

Daisuke n’en tire pas de peine particulière. Il retrouve le garage et démarre la Mercedes pour rejoindre la campagne et la forêt de sapins. Il pense à la villa vide avec ses deux cadavres à l’intérieur. Il pourrait appeler la police mais il ne sait pas ce qu’il aurait à leur dire. Il pense : mon père vient d’être tué. Il pense : le maire de Miami est mort.

Au téléphone les policiers lui demanderaient de décliner son identité.

Et il dirait : Daisuke, ou il dirait : je suis le fils du maire, mais les deux choix sonnent faux. Il pourrait dire : je suis l’assassin du maire de Miami, et il aurait l’impression de dire la vérité, ou il pourrait dire : je suis l’ennemi principal, et il aurait aussi l’impression de dire la vérité.

Les phares éclairent la route par morceaux.

Daisuke pense : où est Midori ?

Le chapitre 16, Chloé Price s’attend au pire, sera mis en ligne le 15 octobre !