Chloé Price tient son panier d’une main et le remplit de l’autre des produits qu’elle trouve dans les rayons du supermarché. C’est au rayon cosmétique alors qu’elle allait prendre un déodorant qu’elle sent son téléphone vibrer dans sa poche.

Elle a reçu un message d’Edna Palmyre. Il y a écrit : chloé, j’aimerais qu’on parle.

Price pose son panier par terre pour répondre mais elle ne sait finalement pas quoi écrire donc elle éteint son téléphone et prend le premier déodorant qui vient sur le rayon. Comme elle est distraite elle prend un déo saveur eucalyptus alors qu’elle déteste cette odeur et elle ne se rend compte de son erreur qu’une fois arrivée chez elle. Elle regarde l’étiquette du déo de près. Elle pense : merde.

Le reste de son sac est plein d’aliments et d’objets dont elle n’a pas besoin ou qu’elle n’a pas envie de manger. Elle laisse tout en vrac sur le plan de travail et appelle la pizzeria de sa rue. Elle commande une Quatre fromages dans sa taille la plus grande. Le pizzaïolo lui demande : 29 cm ? Et Price dit : la plus grande.

Elle passe la récupérer 30 minutes plus tard et paie dans le restaurant où les couples mangent leur pizza face à face. Le pizzaïolo lui demande si elle veut de la sauce piquante et elle en prend quatre tubes. Les couples la regardent payer comme s’ils ne savaient pas quoi se dire.

Elle remonte s’installer devant la télé et déchire la moitié du carton d’emballage pour faire comme une assiette. Elle vide les quatre tubes de sauce piquante sur la pizza, qui déborde et coule sur la table basse. Son téléphone est posé tout au bout. Elle n’a toujours pas répondu. Il ne s’est pas allumé depuis.

La série qu’elle regarde n’a aucun sens.

Il y a un problème avec le montage, les personnages, et l’intrigue en général.

Price prend son téléphone et remonte les messages de sa conversation avec Palmyre. Elle remonte loin parce qu’elles se sont beaucoup écrit depuis longtemps. Quand elle appuie sur la barre de défilement elle peut choisir la date précise. Tous les messages du passé appartiennent à leurs doubles du passé. Quand elle a l’impression de se retrouver c’est en fait quelqu’un d’autre qu’elle regarde.

Il y a aussi des photos.

Leurs visages dessus sourient et s’ils ne sourient pas ils font des grimaces. Price les fait défiler sans que les sourires sur les photos ne provoquent de sourire sur son visage à elle. La distance a épuisé la joie qu’elles contiennent.

Price dit :
je suis libre demain soir

Palmyre dit :
on se retrouve au melrose ?

Price dit :
ok
bonne nuit

Palmyre dit :
bonne nuit chloé

Price jette son téléphone à une extrémité du canapé. Elle n’a pas terminé sa pizza qui a fini par prendre la même texture que le carton qui la contient. Elle éteint la télé. Le silence qui suit l’oppresse. Elle va à la fenêtre regarder les lumières dans les autres appartements de la rue.

Miami est une ville gigantesque.

Toute la peine qu’elle contient reflue des souterrains comme une vieille boue toxique. Price l’imagine déjà se déverser dans le garage de son immeuble, couler entre les voitures et envahir les habitacles, puis boucher les canalisations, s’infiltrer par les voies des ascenseurs, déborder dans les éviers, les lavabos et les baignoires, parasiter chaque corps qui entre en contact avec elle, transformer la vie en une succession informe de gestes et de paroles.

Des gestes comme : se brosser les dents.

Des paroles comme : c’était une bonne soirée.

Price sait qu’elle fait déjà partie des victimes car son rêve de Miami s’est éteint. Les lumières dans les appartements clignotent comme si le réseau électrique global était en train de disjoncter. Les écrans des télés passent d’un programme à l’autre. Les fenêtres sur les ordinateurs se dupliquent en accordéons. Les photos de visages souriants sur son téléphone sont des photos de visages tristes. Les messages d’amour n’ont jamais existé.

Le choc la cloue contre son matelas. Elle cherche à se débattre mais ses bras et ses jambes s’empêtrent dans ses draps. Son tee-shirt de pyjama se noue autour de son cou. Il n’y a plus d’air dans une chambre sans perspective. Le ventilateur au pied de son lit est débranché. La prise repose sur la moquette.

Un énorme vide s’est ouvert quelque part dans le ciel, par où tous les espoirs s’envolent.

Chloé Price l’a déjà vu. Elle connaît son nom.

Les sorties sont un peu chaotiques en ce moment parce que ma vie est chaotique ! Mais le chapitre 17, Un soir au Melrose, sera normalement mis en ligne le 29 octobre !