Safia Sofi décide de faire le voyage seule vers Myriad Pro. Elle a regardé avant de partir s’il y avait un parc mais la seule chose qui y ressemble c’est un plan d’eau, alors elle s’est mise en route pour le plan d’eau.

D’autres voitures sont déjà garées sur le parking où elle se gare, mais aucune ne se touche parce qu’il y a bien moins de voitures que de places à cette heure-là de la journée. Safia Sofi y trouve quelque chose d’inconfortable, comme si elle n’était pas au bon endroit au bon moment. Un type encore au volant de sa voiture lui fait un signe de la main. Elle n’y répond pas.

Elle marche une première fois sur le sentier qui fait le tour sans trouver l’arbre taillé en triangle. Des travaux sont en cours pour enlever l’eau et boucher le trou avec de la terre à cause de la pollution qui s’accumule. Il y a une expo photo amateure pour faire oublier les travaux avec des paysages de partout dans le monde qui ont en commun d’être des trous connus, comme le Great Blue Hole, la mine de diamants de Diavik ou le cratère Météor.

Safia Sofi pense que l’arbre a peut-être été dessouché pendant les travaux.

Elle pense à la pelleteuse qui fonce dans le tronc de cet arbre et aux racines qui sortent du sol avec un bruit de déchirement. Elle est prise d’une émotion intense en imaginant ce bruit.

Puis elle pense au bûcheron qui a débité cet arbre et qui a réduit ses branches en copeaux.

Elle y pense comme à quelqu’un dont elle aimerait se venger.

Les ouvriers reviennent de leur pause et retrouvent leur pelle, leur casque anti-bruit ou leur posture d’attente. Safia Sofi trouve que ceux qui ne font rien sont les plus à plaindre parce qu’ils doivent attendre que les choses changent alors que ceux qui travaillent ont le plaisir de vivre dans les choses en train de changer. Elle les regarde déverser la terre puis la répartir au râteau. Elle pense : c’est de la fausse terre qui n’est pas d’ici.

Elle les approche et leur demande si l’arbre taillé en triangle qu’elle pointe sur la photo leur dit quelque chose. Un ouvrier dit : il n’y a pas d’arbre comme ça par ici. Un autre ouvrier dit : personne ne taille ses arbres en triangle. C’est contre-nature. Et c’est pas contre-nature d’avoir enlevé l’eau ? dit Safia Sofi.

Les ouvriers rient ensemble.

Un ouvrier dit : l’eau était empoisonnée, et pourtant les gens marchaient en famille juste à côté. C’est une eau qui les rendait heureux alors qu’elle voulait leur mort et la mort de leurs enfants. Ils donnaient à manger aux canards pendant que leurs plumes noircissaient. Ils pêchaient les poissons mais leurs branchies étaient pleines de poussière.

Mais maintenant tout va rentrer dans l’ordre, dit un autre ouvrier. On fait les choses bien.

Vous êtes mystiques les gars, dit Safia Sofi, ça m’a fait plaisir de parler avec vous.

Elle ne reprend pas sa voiture mais décide de se promener à pied dans Myriad Pro pour voir comment la ville est faite. Une petite rivière d’eau plus claire la mène jusqu’au centre, où elle regarde à l’intérieur des commerces et surprend les vendeurs et les vendeuses en train de s’ennuyer. Elle pense : cette ville me donne le cafard.

Elle imagine Myriad Pro s’enflammer dans une énorme explosion et laisser sur les cartes la trace d’une main noire.

Elle se trouve alors prise dans un groupe d’enfants qui se tiennent la main deux par deux sur le chemin retour d’une sortie scolaire. Elle les entend parler d’un monde qu’elle ne connaît pas. Elle aimerait retrouver ce monde et pouvoir tenir son frère par la main.

Elle s’arrête et les laisse la contourner comme un rocher au milieu du courant, puis elle rejoint sa voiture en courant et quitte Myriad Pro en se faisant la promesse de ne jamais revenir.

Elle n’aura pas trouvé ce qu’elle était venue chercher parce que Saskia avait tort quand elle parlait d’un parc : les arbres taillés en triangle sont ceux de l’hôpital.

Désolé pour le retard, ma santé est fragile en ce moment et je n’ai pas réussi à publier le chapitre mercredi comme prévu ! Mais le chapitre 15, Midori & Daisuke, sera mis en ligne le 8 octobre !