Safia Sofi ouvre des portes au hasard.

Toutes les pièces se ressemblent mais chacune dans son genre. Les chambres ont au moins un lit, une parure fantaisie et une penderie, les bureaux au moins un espace de travail, un iMac G5 et une chaise, les salles de bain au moins un lavabo, un sèche-serviettes et une douche. La décoration dans chaque pièce comprend au moins un tableau et une plante en pot. Des fois il y a des bougies en plus, ou un tapis, ou une énorme sculpture de gorille en plastique.

D’après Chloé Price il y a de grandes chances que le maire de Miami possède la pierre rouge de Mars.

Après l’assassinat du roi il a ordonné à la police de démanteler le Coltrane Club 3000, de condamner les accès et de confisquer tout ce qui pouvait être considéré comme de valeur à l’intérieur.

Si la pierre était là-bas, c’est la personne la mieux placée pour l’avoir récupérée.

Safia Sofi ouvre des tiroirs, des placards, passe son regard sur des tranches de dossiers, scrute les décors des aquariums, soulève des trophées et décroche des cadres à la recherche d’une clé, d’un code ou d’un coffre.

Elle pense qu’à la place du maire elle ne cacherait jamais la pierre dans une pièce au hasard. Elle en ferait un pendentif qu’elle accrocherait à son cou, ou elle la sertirait à une bague, et on ne pourrait la lui voler que pendant son sommeil, en cassant le collier ou en coupant son doigt.

Elle pense qu’il y a tellement de bonnes cachettes.

Elle pense : la meilleure cachette c’est celle qui décourage de chercher.

Safia Sofi revient sur ses pas après s’être perdue dans un cul-de-sac et rencontre Daisuke qui a l’air de rôder comme le gardien du labyrinthe. Il dit : t’es perdue ? Je cherche les toilettes, dit Safia Sofi. Elles sont là, dit Daisuke en montrant la première porte à côté de lui.

Il y a écrit TOILETTES en gros sur la porte. C’est écrit tellement gros que les lettres peintes dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel du rouge au violet prennent la largeur de la porte et que n’importe qui d’un peu porté sur l’architecture intérieure pourrait sans trop de doute considérer ce choix comme une énorme faute de goût.

C’est à mettre sur le même niveau que la sculpture de gorille en plastique.

Ah oui, dit Safia Sofi.

Il y a les échos des rires et des cris qui viennent du jardin.

Tu t’amuses bien ? demande Daisuke. Ça va, dit Safia Sofi. C’est juste que je connais personne. Tu devrais aller dans la piscine, dit Daisuke. J’ai pas pris mon maillot, dit Safia Sofi. Daisuke dit : je peux t’en prêter un à ma sœur si tu veux.

Safia Sofi ne savait pas que Daisuke avait une sœur.

Elle dit : je savais pas que t’avais une sœur.

Elle ne vit pas ici, dit Daisuke.

Safia Sofi sent que tout dans cette phrase implique le secret, et elle ne s’est jamais sentie aussi proche d’ouvrir le coffre au trésor. Elle dit : si ça te dérange pas, je peux toujours en essayer un.

Daisuke l’escorte dans de nouveaux couloirs tout en gardant en mémoire qu’elle n’avait finalement pas vraiment besoin d’aller aux toilettes. L’un et l’autre ont mis leurs plus beaux masques et marchent en silence avec de faux sourires.

Daisuke s’arrête devant une porte avec des lettres peintes dans le même style que sur la porte des toilettes, mais cette fois il y a écrit MIDORI. Sous les lettres, tout en bas de la porte, il y a aussi un dessin d’enfant : des cercles et des spirales au crayon de couleur vert, avec deux yeux au centre, quatre traits pour les jambes et les bras, et à nouveau le nom midori.

A l’intérieur la chambre ressemble à celle d’une enfant de 6 ans.

Elle a quel âge ta sœur ? demande Safia Sofi. Un an de moins que nous, dit Daisuke. Il fouille dans la penderie pendant que Safia Sofi cherche de nouveaux indices. Elle demande : et elle vit où ? Avec notre grand-mère, dit Daisuke, à la campagne.

Depuis longtemps ? demande Safia Sofi.

Je crois que j’en ai un, dit Daisuke sans répondre à sa question.

Il lui tend un maillot une pièce vert basique.

Alors le regard de Safia Sofi va du maillot au visage de Daisuke, puis au cadre posé sur la commode derrière lui, à la photo dans le cadre avec quatre personnes dessus : de gauche à droite Daisuke, son père, sa grand-mère, et Midori, puis à la tenue de Midori, au collier qu’elle porte autour du cou, et à la pierre rouge qu’il maintient.