10. Peter Fire a tué le roi
Il y a un plan fixe dans une pièce blanche qui a l’air d’être un bout d’entrepôt repeint. C’est encore possible de distinguer l’aspect granuleux des parpaings et verdâtre des plaques de contreplaqué sous la couche de peinture.
La lumière vient d’une ampoule au plafond qui n’est pas visible sur la vidéo.
Les ombres des objets se forment à partir de ce point zénithal : la chaise en bois au milieu du cadre, le 9mm posé au sol, et le corps attaché de face sur la chaise. L’ombre du 9mm fait comme une petite flaque d’eau sombre, il n’y a qu’un léger contour. Les deux autres ombres font un contour plus large.
Les pieds et l’assise de la chaise en bois voudraient céder.
Le corps attaché ne se débat pas : ses mains sont liées dans le dos avec de la corde épaisse aux barreaux du dossier de la chaise, la tête recouverte d’un sac de jute. Il porte un tee-shirt blanc avec un scorpion en mousse cousu sur l’épaule, un pantalon cargon DDP et une paire de Nike Total 365.
C’est le corps d’un enfant de 10 ans.
Il se passe à peine une minute avant que Peter Fire n’entre dans le cadre par la gauche.
Il ne regarde pas la caméra ni ne fait attention au corps. Il marche vers le 9mm et se penche pour le récupérer sur le sol. L’ombre du 9mm s’étend à mesure qu’il s’élève et finit par fusionner avec l’ombre de Peter Fire. C’est par l’ombre que les armes à feu nous appartiennent.
Peter Fire se place derrière le corps, le canon du 9mm pointé sur la tête qui est sous le sac de jute.
Il dit : je vais tuer cet enfant, et le monde va changer. Tant qu’il est en vie vous ne pouvez pas être complètement libres. Je le fais pour le futur, et pour le monde.
Peter Fire tire une seule balle qui fait basculer le corps du roi vers l’avant, entraînant avec lui la chaise au sol. Du sang coule sous le sac de jute et s’étend hors du cadre de la caméra en une flaque uniforme semblable aux ombres.
Peter Fire repose le 9mm par terre et sort du champ.
La caméra filme le cadavre impossible à reconnaître pendant trois minutes. L’ampoule grésille. Une silhouette semble être projetée sur un des murs. Quelqu’un parle mais ne dit rien de compréhensible.
Puis la diffusion s’arrête.
La police de Miami ne parviendra pas à localiser l’entrepôt, ni à confirmer l’identité de la personne assassinée. Plusieurs cadavres d’enfants entre 8 et 11 ans seront retrouvés les jours suivants au fond du fleuve principal qui traverse la ville, lestés avec des pierres.
Peter Fire avait fait une promesse, et chaque personne qui avait assisté à la mort du roi en direct pouvait désormais croire à une vie meilleure, car le seul obstacle pour qu’elle advienne avait disparu.
Le roi était mort.
Le Coltrane Club 3000 a continué à accueillir des centaines de personnes qui venaient de partout dans le monde pour aller à la rencontre de leur vraie vie. Elles s’entassaient dans des dortoirs de fortune et participaient à des rituels quotidiens pour approcher cette vérité. Personne ne savait exactement quel serait le signe du changement, et Peter Fire refusait de répondre à cette question.
Il disait : il faut attendre.
Il était sans doute convaincu d’avoir raison.
Mais après cet assassinat trois ans passeraient, et rien ne changerait.
Je fais une petite pause la semaine prochaine pour rassembler mes idées ! Donc mercredi prochain à 20h ce sera la première FAQ ! Vous pouvez m’envoyer vos questions sur Miami = Paradis, ou la trilogie, ou sur ce que vous voulez, par email à mail@quentinleclerc.com, et j’y répondrai ici. Merci par avance !
Sinon, le chapitre 11, Un samedi soir chez Daisuke, sera mis en ligne le 17 septembre !