70. Les adieux
Il y a un pacte tacite chez les gardiens : avec l’artefact revient la responsabilité de le protéger. Les deux sont légués en même temps. Gagner l’un c’est gagner l’autre, perdre l’un c’est perdre l’autre.
C’est un fardeau qui se transmet.
Quand le gardien responsable lègue la protection de l’artefact à un nouveau gardien, il retrouve sa liberté et gagne le droit de choisir la vie qu’il souhaite mener : devenir une entité du sanctuaire, réintégrer le monde réel ou accéder au paradis. C’est la récompense du roi pour le service rendu.
Casca va remplacer Upamecano.
Mista va remplacer Palutena.
Et Peter Fire aurait remplacé Asim s’il avait respecté le pacte.
Mais la protection de la pierre cause toujours des problèmes au roi : le pouvoir qu’elle renferme ne veut pas être canalisé. C’est contre sa logique. Asim avait des ambitions semblables à celles de Peter Fire, et le roi a été obligé de l’enchaîner sous terre et de le piéger dans la glace.
Il n’a pas trouvé de meilleur moyen pour le préserver de son emprise.
Casca sait depuis son entraînement chez Jeanne Lekker quel destin l’attend auprès de la couronne. Upamecano lui a tout expliqué en détail parce qu’il voulait s’assurer qu’elle comprenne le pacte.
Casca a tout de suite compris.
Et elle a tout de suite dit : oui.
Mais Palutena n’a jamais été aussi claire avec Mista.
Mista pensait que c’était une mission classique, comme Diavolo lui en confie tous les jours depuis qu’il travaille à son service. Diavolo lui a dit de trouver le corps, il l’a fait, puis de prendre en charge sa protection, il l’a fait, puis de le transporter à droite et à gauche, et il l’a fait aussi.
Des fois il devait tenir compagnie à Palutena, alors ils passaient du temps ensemble.
Mista est l’ancre de Diavolo dans le sanctuaire, son moyen d’atteindre le roi tout en restant dans l’ombre. Mista ne peut pas s’opposer aux ordres de sa mission. Il est lié à son boss d’une façon qui dépasse le simple contrat écrit.
Il est à son service.
Il dit : donc moi aussi je suis un gardien. Il regarde les êtres autour de lui et l’environnement où il se trouve. Il dit : c’est vrai que ça explique pas mal de choses.
Upamecano parle à sa sœur. Il lui dit : tu ne lui as jamais demandé son avis ? Ils voulaient le corps, dit Palutena, alors je leur ai donné le corps. J’étais fatiguée de le surveiller.
Le roi le sait ? demande Upamecano. Il s’en soucie ? dit Palutena. Il est déjà venu te voir dans ton sanctuaire ? Non, dit Upamecano, mais il a beaucoup de choses à gérer. Je pense qu’il aurait aimé savoir que tu ne voulais plus t’occuper du corps.
J’ai arrêté d’essayer de savoir ce qu’il veut, dit Palutena.
Upamecano dit : il avait confiance en nous.
Ne me fais pas la morale, dit Palutena. Tu ne vaux pas mieux. Regarde ta gardienne.
Upamecano tourne son heaume vers Casca. Il distingue dans son aura des perturbations qui n’étaient jamais apparues avant. Palutena dit : elle doit avoir des amies, une vie quelque part. Pourquoi vouloir tout sacrifier aussi jeune. Elle abandonnera elle aussi.
Upamecano s’en veut.
Il dit : j’ai essayé de faire les choses bien.
Casca pense aux mots de Palutena. Elle pense à Trish, à ses parents et à Portobello. Elle comprend qu’aucun de ces éléments n’a la valeur qu’elle devrait leur accorder si elle était normale.
Elle dit : je crois que je n’arrive plus à me réjouir dans cette vie. Je n’ai plus de liens, plus de sentiments. Elle cherche ses mots. Elle veut dire des choses sincères mais elle ne sait pas être sincère.
Elle dit : tout ce que je vois me semble appartenir à une autre réalité où je n’ai pas ma place. Je crois que j’aurais aimé à un moment du voyage ressentir le manque de ce que je laissais derrière moi, mais plus la promesse de la couronne se rapprochait et plus je me sentais heureuse.
Elle sourit comme si elle découvrait ses émotions pour la première fois.
Elle dit : j’ai peur, mais je suis prête. Je veux voir comment les choses sont là-bas. J’ai déjà perdu le plus important, vous comprenez ? Je veux une autre chance. Je veux jouer un autre rôle.
Upamecano la regarde droit dans les yeux.
Il pleurerait s’il savait pleurer.
Je te souhaite de ne pas regretter, dit Palutena.
Les deux Rangers reviennent à ce moment-là près du groupe. Ils disent : venez voir la fusion qu’on a construite. Tout le monde se lève et les suit dans le coin du jardin où se trouve leur nouveau LEGO.
C’est une reproduction de la maison de Brion avant sa destruction.
Le toit s’ouvre grâce à une charnière et chaque pièce à l’intérieur est refaite au détail près.
Il y a même des figurines.
Casca et Upamecano sont dans la cuisine, Mista, Brion et Hellbell dans le salon, Palutena dans sa chambre à l’étage et les deux Rangers dans le grenier avec Papu et Zobae. Il y a aussi les figurines de Peter Fire et Asim en train de faire de la balançoire dans le jardin. Le Ranger noir dit : c’est pour quand ils reviendront. Ouais, dit le Ranger rouge, quand on sera tous ensemble pour de vrai.
Brion donne une carte à Mista avec l’emplacement de la maison du roi.
Il dit : il suffit de suivre la route.
Mista s’installe au volant de la BMW pendant que Casca dit au revoir à l’équipe de l’expédition.
Elle serre la main de Palmyre et Price et leur souhaite un bon retour. Tu as beaucoup de courage, dit Palmyre. J’espère que tu trouveras ce que tu cherches. Price tient son grimoire contre sa poitrine. Elle dit : j’ai appris tellement de choses. Je vais continuer mes recherches, et j’espère comprendre un jour les secrets de notre monde.
C’est le moment de dire au revoir à Upamecano.
Il dit : je vais rester un peu ici avec Brion et les enfants, pour les aider à reconstruire la maison. Il y a de quoi s’occuper. Après, je verrai.
Merci, dit Casca. Tu as changé ma vie.
Elle le prend dans ses bras.
Merci, dit Upamecano.
Leurs auras entrent en résonance.
Casca s’assoit à côté de Mista et met sa ceinture le temps que la voiture fasse marche arrière. Elle voit dans le jardin Upamecano, Palmyre, Price, Brion, le Ranger noir et le Ranger rouge qui leur font au revoir, en même temps contents et tristes. Mista et Casca baissent la vitre conducteur et font le même geste d’au revoir en souriant.
La voiture remonte la rue.
Il suffit de suivre la route.