71. Dans la maison du roi
Il y a un panneau avec écrit : Rue du Lac.
Peter Fire marche sur le trottoir d’un lotissement qui ressemble à celui dans lequel il a grandi. Il fait bon comme au début de l’été. Il longe des murets enduits en beige qui délimitent des jardins bien entretenus et aménagés avec des terrasses, des massifs de plantes variées et du mobilier en plastique.
Il pense à qui il était avant de découvrir la pierre. Il pense à Myriad Pro, à sa mère, à Dylan et à tous les collégiens qui sont morts. Il pense à la discussion avec DuKeNuKeM-4D dans l’arrière-boutique du magasin de diegoSSIMO. Il voudrait leur dire : j’ai compris ce que vous n’avez jamais compris, et j’ai affronté ce que vous avez toujours eu peur d’affronter.
Il regarde la pierre rouge dans sa main.
Ses facettes reflètent son visage de travers.
Il arrive en bas du lotissement.
Il y a un garçon de 10 ans qui ressemble un peu aux deux Rangers. Il porte un tee-shirt blanc avec un scorpion en mousse cousu sur l’épaule, un pantalon DDP beige et des Nike Total 365 gris et noir. Il a les cheveux mal coupés aux ciseaux et mange un Kinder Délice.
Il joue tout seul au ballon en le faisant rebondir contre le muret de la maison d’en face. Des fois il tape doucement et des fois il met d’énormes frappes. Le ballon rebondit plus ou moins loin en fonction de la puissance, et il est plus ou moins dur à réceptionner en fonction de l’angle de frappe.
Peter Fire s’arrête à sa hauteur.
Il dit : c’est toi le roi ?
Le roi continue de jouer.
Il dit : t’es qui ?
Un ami, dit Peter Fire. J’ai pas d’amis, dit le roi. Moi, je suis ton ami, dit Peter Fire. Je te connais pas, dit le roi. Peter Fire ouvre son poing et lui montre la pierre. Il dit : tu vois, je te connais bien. Je t’ai déjà vu dans mes rêves. C’est Asim qui m’a donné sa pierre. Je te crois pas, dit le roi.
Peter Fire dit : c’est moi le nouveau gardien.
Tu mens, dit le roi. Asim aime trop la pierre.
Il continue de courir à droite et à gauche pour frapper dans le ballon. Peter Fire le regarde jouer. Il lui dit : tu voudrais pas venir avec moi à Miami ? Je dois rester ici, dit le roi. Je dois attendre que les nouveaux gardiens arrivent. Moi je suis là, dit Peter Fire. Le roi dit : c’est pas parce que t’as la pierre que t’es son gardien.
Peter Fire est vexé par la remarque du roi et serre la pierre dans sa main. Elle brille de sa lumière vermillon. Il dit : tu attends pour rien, parce que personne n’arrive.
Je sens qu’ils arrivent, dit le roi.
Il frappe un peu trop haut et envoie le ballon dans le jardin des voisins. Il grimpe sur le muret et s’infiltre entre les arbustes. Il dit : attrape, et il renvoie le ballon à Peter Fire, qui fait un contrôle du genou pour le réceptionner.
Peter Fire dit : on peut faire un pari si tu veux. Il regarde sa montre. Il dit : moi je parie qu’ils seront toujours pas arrivés dans trente minutes. Si je gagne, tu viens avec moi à Miami, et si je perds, je te laisse la pierre et je m’en vais.
Le roi dit : bon tu passes ?
Peter Fire lui rend le ballon.
OK, dit le roi. De toute façon je suis sûr de gagner. Peter Fire met un chrono de dix minutes sur sa montre et l’enlève de son poignet pour la poser sur le trottoir. Après il rejoint le roi pour jouer.
Ils se font des passes directes ou indirectes en frappant contre le muret. Ils utilisent deux poteaux électriques comme but et chacun à son tour va au goal. Des fois ils s’éloignent au maximum pour faire des records de distance de passe.
Les gestes de Peter Fire et du roi sont les mêmes, comme si l’un était le décalque de l’autre.
Le roi dit : ça va t’es plutôt fort.
Le chrono sur la montre sonne.
Déjà ? dit le roi. Mais ça fait pas trente minutes.
C’est le jeu, dit Peter Fire. On y va ? Le roi regarde une dernière fois par où les voitures arrivent. Il dit : ouais je sais pas. Il pense à Upamecano et à Palutena. Il pense aux auras de la couronne et du corps, qu’il sent près de lui. Le rouge de la pierre se voit à travers le tissu dans la poche de Peter Fire. Le roi dit : ouais d’accord, mais il le dit à contrecœur. Il traîne des pieds et fait avancer le ballon devant lui en s’aidant du caniveau pour qu’il garde sa trajectoire.
Peter Fire dit : je sais que c’est dur, mais on va vraiment s’amuser. Miami c’est une ville de fou.
Ils marchent jusqu’au bout de la rue, tournent à l’angle.
Et c’est la dernière image d’eux.
Le lotissement reste vide.
La BMW M4 jaune descend par la même route que Peter Fire.
Elle se gare devant la maison où le roi attendait. Mista et Casca regardent la maison. Mista dit : je crois que c’est là. Casca et lui sortent de la voiture et sonnent à la porte d’entrée. Personne ne leur ouvre. Tous les stores sont fermés.
Mista dit : je vais voir derrière.
Il fait le tour et découvre que la façade arrière est pareille à l’avant. Il s’approche d’une fenêtre avec un bout de store cassé et met ses deux mains en œillères pour observer à l’intérieur. Il y a du monde dans le salon.
Pluton, le canard et le bourdon sont en train de regarder des dessins animés. Ils ont fermé les stores pour que le soleil ne fasse pas de reflets sur l’écran de la télé.
Mista reconnaît le générique de Street Sharks. C’est une série de 40 épisodes avec des hommes-requins musclés qui sont tous frères et affrontent le docteur Paradigm pour l’empêcher de prendre le contrôle de Fission-ville.
Mista frappe au carreau.
Pluton se retourne. Mista lui fait signe d’ouvrir la porte d’entrée. Il retrouve Casca et lui dit qu’un chien va leur ouvrir.
La porte s’ouvre avec Pluton derrière.
Il aboie.
Mista dit : bonjour le chien, on vient voir le roi. Pluton aboie pour dire que le roi est parti. Vous savez par où ? demande Mista. Pluton aboie et projette dans l’esprit de Mista et Casca une image du bout de la rue. Il est parti tout seul ? demande Mista. Pluton aboie pour dire non et projette dans leur esprit une image de Peter Fire.
Casca dit : c’est Peter Fire. C’est qui ? demande Mista. Le nouveau gardien de la pierre, dit Casca. Il devait pas rester ? demande Mista. Casca dit : je crois qu’il a d’autres projets.
Vous savez s’ils vont revenir ? demande Mista.
Pluton aboie pour dire qu’il ne sait pas.
OK, dit Mista. OK, OK. Il a l’air embêté. Il regarde Casca. Il dit : on fait quoi ? On les poursuit ? J’ai envie de rester, dit Casca. On peut au moins attendre un peu à l’intérieur. Ouais, dit Mista, OK. Il demande à Pluton s’ils sont d’accord pour que Casca et lui regardent Street Sharks avec eux.
Pluton aboie et les guide jusque dans le salon.
Casca est la seule à le suivre. Mista dit : j’arrive dans deux minutes. Je dépose juste un truc dans le garage et je vous rejoins. Il retourne vers la BM et ouvre le coffre. Il en sort un corps enveloppé qu’il jette sur son épaule.
Il referme le coffre d’une main et porte le corps jusque dans le garage. Il le range comme il peut dans le congélateur. Il est obligé de sortir des boîtes de Magnum, de Mister Freeze, de Solero Shots, de Pouss Pouss Miko et d’esquimaux pour faire de la place.
Il rejoint Casca et les animaux dans le salon et s’assoit sur le seul fauteuil libre. Casca a déjà trouvé sa place, avec le canard blotti entre ses jambes et le bourdon posé sur son épaule.
Elle rigole à une blague du dessin animé.
Mista prend le plaid qui dépasse d’un panier en tissu et s’enroule dedans. Il enlève ses chaussures pour ranger ses jambes sous le plaid. Il y a même un petit plateau sur la table basse avec des tartines de beurre saupoudrées de chocolat noir.
Mista croque dans un morceau qui lui rappelle des souvenirs.
Il pense : c’est cool.
C’est le paradis.