35. Vers le sanctuaire
Le jour du départ est arrivé.
Jeanne Lekker regarde Casca et Trish ranger leurs affaires dans leurs sacs à dos.
Elle les rejoint et les prend dans ses bras. Elle dit : faites attention à vous. Elles ont toutes les larmes aux yeux. T’inquiète pas mamie, dit Trish. Merci pour tout, dit Casca. L’armure d’Upamecano tremble parce qu’il est ému à l’idée de ne peut-être plus jamais la revoir.
Le groupe sort du repaire et arrive dans la rue.
Trish prend une grande inspiration et bombe la poitrine. La lumière du jour tombe sur son visage avec sérénité. Elle dit : trop hâte de voir à quoi ressemble le sanctuaire. Où est-ce qu’on va maintenant ?
Casca regarde la carte de visite dans sa main.
CID, CHAUFFEUR TOUS VÉHICULES, GUIDE ENVIRONNEMENTS EXTRÊMES, PROFESSIONNEL COMPÉTENT, DISPONIBLE 24/7
Au verso il y a une adresse.
Jeanne Lekker leur a conseillé de faire appel à lui pour aller jusqu’en Arctique. Casca demande à Upamecano s’il l’a déjà rencontré. Non, dit Upamecano, jamais. Mais si la fondation lui fait confiance, alors j’ai confiance aussi.
Elles se rendent à l’adresse et Casca frappe à la porte.
Cid ouvre.
Cid est un vieil homme détendu. Il est chauve sauf sur les côtés de son crâne où ses cheveux sont coiffés comme deux éclairs. Il a aussi une grosse moustache et des sourcils avec le même motif éclair. Sinon il est pied nu et porte un kimono noir de judoka. Trish trouve que pour son âge il est encore super musclé.
Cid dit : salut les jeunes. Enlevez vos chaussures et suivez-moi.
Le groupe entre en chaussettes dans la maison de Cid.
Le mot qui vient tout de suite à l’esprit de Trish est plénitude. Il y a du parquet ciré et des tatamis au sol, chaque pièce est séparée des autres par une porte coulissante en papier qui laisse passer la lumière, et des petits bonsaïs bien taillés poussent sur des consoles en bois d’acajou.
Cid les invite à déposer leurs affaires et à s’installer en tailleur autour d’une table avec des tasses en céramique et une théière. Il remplit chaque bol de thé vert et leur dit de le boire aussitôt.
Tout le monde boit son thé et le trouve délicieux.
Casca entend le bruit d’un filet d’eau qui coule entre des pierres empilées.
C’est chill.
Cid débarrasse la vaisselle et déplie une grande carte sur la table.
Il dit : Jeanne m’a parlé de votre voyage. C’est un long voyage. Moi aussi j’ai beaucoup voyagé quand j’avais votre âge. J’ai vu plein de villes que vous ne pourriez même pas imaginer. Des villes dans le désert, des villes dans les arbres, même des villes sous l’eau. Tout le monde était obligé de porter un scaphandre et de parler avec les mains. J’ai vécu des aventures incroyables. C’est comme ça que j’ai rencontré Jeanne.
Elle vous a raconté comment on s’est rencontrés ?
Casca, Trish et Upamecano font en même temps non de la tête.
Je veux pas vous embêter avec ça, dit Cid.
Il y a un silence.
Il dit : c’était il y a 45 ans. Le monde était bien différent. On participait tous les deux au Tenkaichi Budokai, le plus grand tournoi d’arts martiaux de Miami. Les meilleurs combattants étaient là : Crash Bandicoot, Rey Mysterio, Sailor Moon, Venom, et même Magical Dorémi. Les tournois avaient beaucoup de succès à l’époque et le stade était rempli de supporters. Le Tenkaichi Budokai était unique parce qu’il n’avait lieu qu’une fois tous les 10 ans et que le vainqueur gagnait 500 000 $. C’était l’objectif principal de tous les combattants. Certains s’entraînaient depuis qu’ils étaient enfants pour le remporter. L’année où Jeanne et moi on a participé, le niveau était stratosphérique. Chaque combat était plus serré que le précédent. Des KO en deux secondes, des adversaires projetés dans le ciel et qui ne retombaient jamais, des gradins détruits, des membres amputés, c’était un spectacle terrible. C’est en demi-finale que Kenpachi Zaraki m’a fait cette cicatrice.
Cid ouvre son kimono et montre une cicatrice en croix sur son torse et son ventre.
Trish va pour la toucher mais Cid referme son kimono d’un coup.
Il dit : avec Jeanne, on arrive tous les deux en finale. Je suis à bout de forces, je tiens à peine sur mes jambes. J’ai trois côtes cassées, un œil aveugle et les poumons qui brûlent. Je monte sur la surface de combat et je regarde Jeanne. Son jogging est tellement propre qu’il a l’air neuf. C’est comme si elle n’avait affronté aucun autre adversaire. Quand l’arbitre siffle le début de notre combat, elle passe dans mon dos et me donne un seul coup sur la nuque. Je me suis réveillé une semaine plus tard.
Il y a un autre silence.
Cid sourit dans le vide. Il a l’air dans la lune.
Trish se penche discrètement vers le heaume d’Upamecano et lui demande pourquoi il leur raconte sa vie. Upamecano hausse les épaules. Il dit : je ne sais pas. Il est peut-être nostalgique.
Cid dit : elle a partagé les 500 000 $ entre tous les participants. C’est le genre de combattante qu’est Jeanne. Je l’admire. Même si on vit tous les deux à Copenhague et qu’on travaille pour Speedwagon, on ne se voit jamais. Elle préfère rester dans son coin. Je crois qu’elle est triste que les combattants ne pensent qu’à leur truc et qu’ils n’aident pas un peu plus les civils. Elle dit que c’est de notre responsabilité, d’éveiller les auras des gens. C’est comme ça qu’elle a rencontré Mircea Speedwagon. Mircea cherchait des personnes pour l’aider à régler les problèmes que notre monde subit, et Jeanne voulait se rendre utile. L’histoire de leur rencontre aussi est incroyable. C’était il y a 17 ans.
Trish montre à Casca qu’elle en a marre de l’écouter parler en levant les yeux au ciel. Elle lui dit tout bas : vas-y, demande-lui.
Cid parle toujours quand Casca l’interrompt.
Euh, dit-elle, monsieur Cid ?
Cid la regarde comme s’il ne l’avait jamais vue.
Elle dit : et donc, pour notre voyage ?
Elle lui montre la carte dépliée sur la table.
Ah oui, dit-il, le voyage.
Il dit : justement, c’est là où je voulais en venir. Écoutez bien le trajet que j’ai prévu. Casca, Trish et Upamecano se penchent sur la carte et Cid leur explique en détail les villages qu’elles vont traverser et les routes qu’elles vont prendre.
Pendant que Cid prépare ses affaires, Casca regarde aux murs des cartes et des photographies d’endroits magnifiques qu’elle ne connaît pas. Elle a toujours vécu entre Myriad Pro, Portobello et Miami, sur une surface totale qui représente à peine 2 % du monde.
Sa peur de l’inconnu disparaît grâce au courage que la couronne lui donne.
L’image de Copperfield apparaît dans sa mémoire. Ils sont dans le club-house de L’Alambra. Il lui dit : quand j’aurai fini mon enquête, j’aimerais bien voyager un peu. Il y a tellement de paysages incroyables qu’on ne connaît pas. Myriad Pro c’est une ville sympa, mais il faut voir d’autres trucs. Vous pourriez même venir avec moi si vous aimez bien l’aventure.
Casca rougit. Elle dit : je ne sais pas. Peut-être, si j’ai des vacances.
Ouais, dit Copperfield, vous me direz.
Il sourit.
Puis son image se dissipe comme de la fumée.
Cid dit : c’est bon, on peut y aller.
Le groupe est maintenant composé de Casca, Trish, Upamecano et Cid.
Un homme caché au coin d’une ruelle les regarde sortir de la maison.
Il les voit de dos, côte à côte. Quand elles ont fini de remonter la rue, il ne les voit plus. Il retourne dans l’ombre de la ruelle et s’adosse contre un mur en briques. Il enregistre sur son Zoom H1n un mémo vocal. Il dit : groupe de 4, quitte Copenhague, chevalier vivant, Leblanc absente, nouvel allié kimono.
Il range le Zoom dans sa poche et s’enfonce dans la pénombre.
Il suit un passage derrière les maisons et les immeubles. Il longe des palissades et des parois en béton, passe derrière les restaurants et croise les serveurs en pause qui fument des cigarettes assis sur des seaux en plastique. Il y a des odeurs de poisson et de graisse à frire. Il continue sous un pont où des marins regroupés autour de barils en feu se réchauffent les mains.
Il quitte le centre-ville pour arriver dans un quartier résidentiel privé délimité par un muret et une barrière de parking automatique.
Il passe sous la barrière et marche sur le trottoir.
Il arrive devant un portail gardé par deux hommes avec des fusils d’assaut.
Il sort le Zoom de sa poche et le branche à une petite enceinte JBL qu’il sort de son autre poche. Il appuie sur le bouton play du Zoom, qui dit : informations Bryan.