33. Un appel de Petitchâteau
Nocturne, Leblanc et Mascarade s’installent au bar d’un hôtel de 90 étages.
C’est une sorte de bar lounge avec une lumière tamisée, des îlots pour discuter tranquille, un faux feu de cheminée, un comptoir en bois d’acajou, des tabourets avec une assise en cuir rouge, une vitrine avec des sirops et des bouteilles d’alcools forts, de la décoration de luxe et un jeune serveur qui passe son temps à essuyer des verres.
C’est dans ce genre d’endroit que les hommes d’affaires arrivent le mieux à se détendre et à parler de leurs sentiments.
Mascarade dit : j’adore le mood ici.
Tu sais quand notre jet arrive ? lui demande Leblanc. J’en ai aucune idée, dit Mascarade. Petitchâteau m’a dit qu’il nous appellerait, donc pas de pression.
Petitchâteau est le dernier membre important de l’organisation de Tim. C’est lui qui gère la logistique générale, prend les billets de train, envoie les fiches de paie, enregistre les factures, s’assure que tout le monde va à ses rendez-vous médicaux, distribue les tickets restaurant et organise les réunions d’équipe.
En général dès qu’il y a un problème c’est à Petitchâteau que les membres s’adressent.
Le seul souci c’est qu’il a de grosses difficultés à énoncer une pensée claire.
Mascarade voit un groupe s’installer autour d’une table de billard et décide de le rejoindre pour passer le temps. Moi je vais faire un tour, dit Nocturne.
Copenhague est le contraire de Miami. C’est une ville de la même taille, mais il y fait 5°C toute l’année et il n’y a pas de palmiers. À la place il y a des sapins et d’autres arbres tristes qui mis bout à bout font des forêts. Les immeubles ont tous la même hauteur, le même volume et le même enduit beige. Certains appartements sont installés dans des containers de marchandise empilés les uns sur les autres.
Dans les chantiers les grues tournent pour déposer des blocs de béton et du grillage, et les ouvriers ont des casques.
Il y a aussi des ruelles étroites avec des magasins sales où les gens peuvent acheter des coques pour leur téléphone, des figurines dans des distributeurs automatiques, des magazines et des brochettes de poulpe grillé.
Les panneaux routiers, les climatiseurs et les bornes électriques prennent toute la place.
Le port est quand même joli quand il fait beau.
Nocturne trouve un Micromania où elle entre pour voir s’il y a de bonnes occasions sur les jeux Game Boy Advance.
C’est très difficile de faire de bonnes affaires à Micromania parce que tout y est plus cher qu’ailleurs. Les prix sont tellement abusés qu’ils finissent par influencer l’état d’esprit des vendeurs, qui ont toujours l’air en colère et énervés de vendre des jeux trop chers.
Là par exemple, Nocturne voit une cartouche en loose de Mother 2 pour 400 $, ce qui est dix fois le prix habituel en ligne. Il y a aussi une boîte de Children of Mana pour 900 $, mais le carton a pris l’eau donc il est tout jaune et gondolé.
Nocturne demande au vendeur s’il peut lui faire une remise sur une cartouche de Golden Sun 2. Le vendeur dit non mais Nocturne voit qu’il s’en veut de lui dire non et que s’il ne devait pas suivre la politique du magasin, il dirait oui.
Si ce vendeur était libre il ferait à Nocturne une réduction de plus de 80 % sur le prix indiqué en boutique.
Mais le vendeur est franchisé donc il doit suivre la politique de la marque.
Le téléphone de Leblanc vibre sur le comptoir.
Elle décroche et c’est Petitchâteau qui lui parle.
Elle demande : notre avion est arrivé ? Oui, dit Petitchâteau. Où ? demande Leblanc. Ou quoi ? dit Petitchâteau. Où est-ce qu’il est ? demande Leblanc. Qui ? dit Petitchâteau. Notre avion, dit Leblanc. Oui, dit Petitchâteau. Il est arrivé comme prévu. Mais où ? demande Leblanc. Sur quelle piste ? À Copenhague, dit Petitchâteau. Je l’ai dit au début. Non, dit Leblanc. Quoi ? dit Petitchâteau. Tu ne l’as pas dit, dit Leblanc. De quoi ? dit Petitchâteau.
Cette conversation est un bon exemple de la pensée pas claire de Petitchâteau. Leblanc est en plus obligée d’avoir juste après une autre conversation à peu près identique pour connaître l’horaire de leur vol.
Et ce n’est pas fini.
Il y a une urgence à Miami.
Qu’est-ce qui se passe ? demande Leblanc. Pas grand-chose, dit Petitchâteau. Je suis au bord de la piscine. Je mange une glace. Leblanc dit : pas dans ta vie, mais c’est quoi l’urgence ? Ah oui, dit Petitchâteau. Tim est inquiet. Pourquoi ? demande Leblanc. Il a des soucis, dit Petitchâteau. Oui j’ai compris, dit Leblanc, mais lesquels ? Des gros, dit Petitchâteau. J’ai pas demandé leur taille, dit Leblanc, j’ai demandé leur nature.
Pour quelqu’un d’aussi rationnel que Leblanc, chaque conversation avec Petitchâteau est une épreuve intense.
C’est l’autre artefact, dit Petitchâteau. La pierre ? demande Leblanc. Oui, dit Petitchâteau, c’est ce que je viens de dire. T’es pas obligée de tout répéter. Leblanc se mord la peau des joues. Et donc quoi la pierre ? demande Leblanc. Tim est inquiet, dit Petitchâteau. La pierre lui pose de gros soucis. Mais pourquoi ? demande Leblanc. Je t’en supplie Petitchâteau, abrège.
J’y viens, dit Petitchâteau, pas la peine d’être désagréable.
Il y a un silence.
Leblanc demande : et donc ? Il y a un ado ici, dit Petitchâteau. Et Tim pense qu’il a la pierre. Parce qu’il fait des choses incroyables. Et tout le monde trouve que c’est des prodiges. Et Tim pense que Vega va finir par s’en rendre compte. Et il veut pas que Vega trouve la pierre. Donc il a besoin de vous pour pas qu’il la trouve. Ou que s’il la trouve, on puisse l’arrêter.
Merci, dit Leblanc.
Pourquoi ? dit Petitchâteau. C’est plus clair, dit Leblanc. C’était clair dès le début, dit Petitchâteau. Il finit de manger sa glace à l’eau. Il dit : j’ai fini ma glace. J’y vais.
Et il raccroche.
Leblanc rejoint Mascarade autour de la table de billard pour lui résumer son appel avec Petitchâteau. Elle résume une conversation de 45 minutes en 30 secondes.
Mascarade dit : moi qui pensais qu’on allait être un peu tranquilles, en fait c’est toujours l’aventure avec Tim. Heureusement que j’adore et Tim et les aventures avec vous.
Il fait un coup absurde qui lui permet de rentre en une seule fois toutes les boules jaunes et la boule noire sans toucher aucune des boules rouges. Il s’adresse au groupe et dit : et voilà, 15 à 0. Il faut s’entraîner les gars, le billard c’est pas qu’un jeu.
Il dit : mais vous inquiétez pas, on progresse toute sa vie.
Nocturne revient de sa promenade avec un grand sac Micromania plein à craquer. Il n’y a aucune bonne raison pour acheter autant de trucs à Micromania, mais elle avait besoin de décompresser.
Tu arrives à temps, dit Leblanc. Notre jet décolle dans 30 minutes.