23. Passage express chez Cycles à gogo
Trish revient d’une baraque en bois où elle a acheté trois billets pour L’Océane. Elle en tend un à Casca et l’autre à Upamecano.
L’Océane ne part qu’en début de soirée pour Copenhague.
Trish dit : j’ai vu qu’il y avait une boutique de vélos à côté de l’auberge, on pourrait en acheter un chacun. C’est plus discret qu’une Lambo. Je ne sais pas faire de vélo, dit Upamecano. C’est pas grave, dit Trish, je vous apprendrai.
Elle se tourne vers Casca, qui est en train de regarder vers la zone avec des vestiges antiques.
Trish voit que son état d’esprit change depuis qu’elles ont quitté Portobello. Casca a toujours été discrète, mais maintenant Trish a l’impression qu’elle se détache de ce qui l’entoure. Elle l’imagine se transformer en fantôme et errer en silence jusqu’à la fin des temps.
Trish touche son épaule et lui demande : Casca, t’en penses quoi ? Casca la regarde comme si elle sortait d’un rêve. Elle dit : oui, c’est une bonne idée. Moi je vais aller voir les vestiges, je vous attends là-bas. OK, dit Trish, comme tu veux.
Elle fait signe à Upamecano de la suivre.
Ils passent la porte de la boutique.
Il y a du carrelage noir et blanc au sol, deux fauteuils près d’une fenêtre et des vélos alignés les uns à côté des autres.
Le vendeur range des pièces détachées derrière son comptoir. Un autre client discute avec lui mais il n’a pas l’air de vouloir acheter un vélo.
Trish et Upamecano s’approchent du comptoir.
Bienvenue chez Cycles à gogo, dit le vendeur, que puis-je faire pour vous ?
On voudrait acheter trois vélos, dit Trish. Bien sûr, dit le vendeur, quel genre de vélos : rapides ? légers ? tout terrain ? Euh, dit Trish, je ne sais pas trop. Le vendeur s’approche d’Upamecano et dit : pour un grand gaillard comme vous, il vaut mieux un vélo solide.
Il dit : suivez-moi.
Ils vont au fond de la boutique, près des vélos avec d’énormes roues. Quelque chose dans ce genre, dit le vendeur, ça serait parfait. Je préfère ceux-là, dit Upamecano en montrant les vélos de course à 4 000 $. Très bon choix, dit le vendeur, vous avez l’œil.
Upamecano monte sur un vélo avec un cadre en carbone pendant que Trish regarde les tandems. Le vendeur explique à Upamecano que le carbone a plusieurs atouts : une grande légèreté, une résistance aux aléas de la météo et une importante flexibilité.
C’est bien pour rouler dans la neige ? demande Upamecano.
Quel genre de neige ? demande le vendeur.
Sur la banquise, dit Upamecano.
Le vendeur hésite à dire la vérité.
Carmin sur Mer est une petite ville et il n’a pas souvent l’occasion de vendre des vélos à 4 000 $. Mais son rôle est d’orienter ses clients vers les modèles les plus en adéquation avec leurs besoins.
Et si le besoin du client est de rouler sur la banquise, il devrait tout simplement lui dire : achetez une motoneige, et surtout pas un vélo.
C’est une question d’éthique.
Car acheter un vélo pour rouler sur la banquise mettrait le client en danger de mort.
Oui, dit le vendeur, ces vélos sont faits exprès pour ce genre de terrain.
Alors on va vous en prendre trois, dit Trish. Et ils ressortent de Cycles à gogo avec trois vélos de couleurs différentes. Le vendeur les regarde passer devant sa vitrine et les imagine tomber dans une crevasse glaciaire. Et puis il range les 12 000 $ de billets dans sa caisse, et il n’y pense plus.
Les vélos sont tellement légers qu’Upamecano peut en porter un sur chaque épaule pendant que Trish conduit le sien.
Elle dit : il était super sympa ce vendeur. C’est vrai, dit Upamecano.
Ils rejoignent Casca aux vestiges antiques.
Elle est agenouillée devant une sorte de roche à moitié mangée par la mousse, avec ses écouteurs dans les oreilles. Elle écoute Damon Albarn chanter qu’il est n’est pas tout à fait réel mais qu’il essaie vraiment de l’être.
Trish va pour lui montrer les vélos mais Upamecano la retient par le bras. Il dit : ne la dérangez pas. Elle est en train d’apaiser les auras qui errent.
Ces auras errantes peuvent être comparées à des ectoplasmes, des ombres ou des cauchemars.
Upamecano explique à Trish que le gardien de la couronne est le protecteur des auras malheureuses qui errent après la mort de leur possesseur. Si personne ne s’occupe d’elles, elles perturbent la réalité et créent de grands bouleversements.
Trish pose son vélo par terre et s’assoit en tailleur dans l’herbe. Upamecano fait pareil. Les rayons du soleil traversent le feuillage des arbres et les nuages bougent au ralenti dans le ciel.
Upamecano voit les auras flotter autour de Casca, puis se faufiler dans son sac entrouvert, où la couronne les accueille. La scène l’apaise d’une façon qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps.
Il se tourne vers Trish.
Trish regarde ses pieds.
Upamecano lui demande : quelque chose vous inquiète ?
Elle dit : je ne sais pas ce qui s’est passé hier. Je ne me suis pas rendu compte de ce que je faisais. Je ne voulais pas la tuer.
Je voulais juste qu’elle nous rende la couronne.
Vous avez entendu une voix ? demande Upamecano. Quoi, dit Trish. Quand vous avez perdu connaissance, demande Upamecano, est-ce que vous avez entendu une voix ? Plutôt des chuchotements, dit Trish, mais j’avais du mal à comprendre ce qu’ils me disaient.
Une coccinelle est en train de courir sur l’armure d’Upamecano. Il la fait grimper sur son doigt et la regarde de près. Il dit : ces chuchotements, c’était le roi. C’est à lui que la couronne appartient. Sa couronne a choisi Casca, et elle la protégera quoiqu’il arrive. Si vous êtes son amie, elle se servira de vous parce qu’elle sent que vous voulez son bien.
La coccinelle déploie ses élytres et s’envole.
Upamecano dit : moi aussi j’ai tué pour la couronne. C’était il y a très longtemps. C’est le roi qui parle à travers elle. C’est dans l’ordre des choses. Je n’ai jamais cherché à lui résister.
Moi je lui résisterai, dit Trish.
Upamecano tourne son heaume vers Trish et pour la première fois il rit. Il rit au point que les gens autour les regardent. Vous moquez pas de moi, dit Trish.
Casca les rejoint.
Elle demande ce qui se passe.
Rien, dit Trish. Il a un fou rire tout seul.