La tempête de neige continue. Des groupes de manchots sont massés en silence devant les bâtiments de la base arctique, certains allongés sur le ventre, d’autres debout.

Mircea Speedwagon lit des documents dans le préfabriqué qui lui sert de bureau.

Sa surface de travail est recouverte de feuilles volantes avec des formes géométriques et des formules mathématiques. Il y a aussi un cadre avec un portrait de son arrière-grand-père, Robert E. O. Speedwagon, qui a fondé la société en 1889 et est mort 40 ans plus tard dans le naufrage d’un bateau de croisière au milieu de l’océan Pacifique.

Speedwagon lit un livre qui retrace l’histoire des aventuriers qui ont cherché l’entrée du paradis.

L’entrée du paradis a longtemps été considérée comme un mythe.

Elle aurait été découverte en 1606 par le jeune pêcheur Olaf Jansen et son père.

Alors qu’ils sont partis pêcher aux abords de l’océan Arctique, ils sont emportés par un cyclone qui les projette plusieurs centaines de kilomètres plus loin dans une zone glaciaire inconnue. Ils marchent des jours jusqu’à trouver un puits de lumière qui s’enfonce dans les profondeurs.

Ils s’y aventurent et décident de vivre à l’intérieur de la Terre, sans donner le moindre signe de vie.

Deux ans plus tard, ils reviennent chez eux comme ils sont partis, à bord du même bateau de pêche. Ils racontent à leurs proches que le paradis existe sous la surface de la Terre et qu’ils sont les seuls à avoir eu le privilège de s’y rendre de leur vivant.

Pendant plus de 200 ans, personne ne retrouve l’entrée de ce passage.

En 1829, l’explorateur Jeremiah Reynolds mène la première expédition en Antarctique, après avoir entendu des rumeurs qui disent que ce passage souterrain se trouverait là-bas.

Il arrive sur place et découvre que toutes les entrées supposées sont des tunnels sans issue. Son équipage se mutine, la moitié des hommes meurt de froid et de faim, et il est obligé de faire demi-tour.

Un des membres de l’équipage dira à propos de Reynolds : il a cherché la lumière là où elle n’existe pas.

En 1871, sir John Leslie, un riche armateur de Copenhague, décide d’entreprendre une expédition de l’autre côté et d’explorer le cercle polaire arctique. Il revient trois ans plus tard. Il n’a plus que cinq hommes sur les 300 embarqués au départ.

Il devient à moitié fou et soutient à tous ceux qui l’interrogent que les Jansen avaient raison : deux soleils habitent le centre de la Terre et sont la source de vie d’une civilisation d’anges qui a pour capitale Asgartha.

Speedwagon a réussi à se procurer son carnet de voyage, où elle découvre les croquis d’une cavité, de parois glaciaires, de robots dans des environnements préhistoriques et de figures blanches qui ont des ailes. D’autres pages sont remplies de textes étranges où le nom d’Asgartha est répété à chaque ligne.

Il est écrit qu’Asgartha est le paradis souterrain, la ville où siège le Roi auprès de qui dorment les anges aux ailes déployées, le miroir dans lequel tous les morts pleurent, la dernière citadelle bâtie dans le sang.

Quelqu’un frappe à la porte.

Speedwagon recouvre le carnet de feuilles.

Elle dit : entrez.

Une femme entre dans la pièce, avec une cagoule orange qui laisse juste sortir son nez et un télescope type Cassegrain accroché dans son dos. Elle dit : le convoi est prêt.

Speedwagon enfile sa doudoune Himalayan The North Face et la suit jusque dans un grand hangar à 100 mètres de son préfabriqué.

À l’intérieur, des silhouettes se tiennent debout à côté d’un camion Scania ultra moderne conçu pour les voyages extrêmes. La femme avec la cagoule orange les rejoint. Elles forment le groupe de six professionnelles engagées par la société Speedwagon pour protéger le portail qui mène au sanctuaire.

La femme avec la cagoule s’appelle Edna Palmyre.

La femme avec une cape noire et un masque de chauve-souris s’appelle Amy Subaru.

La petite fille avec un ordinateur V-Tech accroché au bras droit s’appelle Blast.

La femme en cosplay de Samus Aran dit qu’elle s’appelle Samus Aran.

L’adolescente avec un canard en laisse s’appelle Aruka.

Et la femme avec une veste en cuir et un grimoire accroché à la ceinture s’appelle Chloé Price.

Toutes les six forment l’équipe idéale pour ce genre de mission, et Speedwagon les a contactées parce qu’elles travaillent toujours ensemble et qu’elles sont les meilleures chacune dans son domaine.

Blast dit : on vérifie les transmetteurs une dernière fois.

Elle distribue des oreillettes Barbie roses et vertes à tout le monde, puis elle tape sur les touches de son V-Tech et parle dans un micro en plastique jaune. Elle demande : un deux test, est-ce que vous m’entendez ? Les autres lèvent le pouce ou hochent la tête pour dire que tout fonctionne.

Parfait, dit Blast, c’est bon de mon côté.

OK, dit Speedwagon, vous me tenez informée toutes les heures de votre itinéraire, et on fait un autre point une fois que vous êtes arrivées sur place. Si vous remarquez un événement imprévu, s’il y a un incident technique avec le camion, si un intrus se présente ou si l’une d’entre vous se blesse gravement, vous faites demi-tour, c’est compris ?

Oui, dit Palmyre. Compris cheffe, dit Subaru. Cinq sur cinq, dit Blast. Samus fait le signe OK. Si vous voulez, dit Aruka, et son canard crie. Price ne dit rien. Elle a l’air dans ses pensées.

Price ? demande Speedwagon.

Pardon, dit Price, c’est d’accord.

Bien, dit Speedwagon, dans ce cas, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne chance.

Les professionnelles montent et s’installent dans le camion, qui quitte le hangar. Les manchots s’écartent sur son passage. Speedwagon le regarde s’éloigner au ralenti dans la tempête de neige.