15. Upamecano, le gardien
Leblanc gare la Mercedes dans une rue le long d’un trottoir. Elle éteint les phares et le moteur. Elle regarde sur le trottoir d’en face. Il y a un immeuble de quatre étages où deux fenêtres sont éclairées. Leblanc dit : c’est ici.
Nocturne se penche du même côté que Leblanc pour voir le haut de l’immeuble. Elle demande : c’est quoi le plan ?
Comment ça ? dit Leblanc.
Ben notre plan, dit Nocturne, pour récupérer le sac.
La formation de Nocturne passe aussi par des moments théoriques où Leblanc doit lui apprendre quand elles doivent prévoir un plan ou quand elles peuvent improviser.
Là en l’occurrence il n’y a pas vraiment besoin de plan.
Leblanc dit : on sonne, on lui demande le sac, elle nous le donne, et on repart. Nocturne a l’air déçue. Elle demande : donc on se bat pas ? Non, dit Leblanc, on ne se bat pas.
Elle dit : il n’y a pas toujours besoin de se battre.
Elles sortent de la voiture et marchent vers l’immeuble.
Trish ouvre la porte d’entrée.
Elle fait face à un chevalier en armure qui mesure plus de 2 mètres.
Il demande : vous êtes Casca ? Hein, dit Trish. Êtes-vous Casca ? demande le chevalier. Je m’appelle Upamecano, et je cherche celle qui se nomme Casca.
Upamecano est habillé d’une armure en métal poli avec une épée à la ceinture. Son heaume en pointe a une fente au niveau des yeux et des dizaines de petits trous au niveau de la bouche.
C’est la panoplie complète.
Le seul truc pas d’origine c’est la paire de New Balance 992 qu’il a aux pieds, mais elles sont beaucoup plus pratiques pour courir.
Upamecano porte son armure comme des vêtements normaux.
Il dégage une profonde sympathie.
La voix d’Upamecano a l’air de venir de très loin.
Il dit : il faut faire vite. Si ce n’est pas vous, dites-moi où est celle qui se nomme Casca.
C’est moi, dit Casca. Elle se tient sur le seuil de sa chambre, toujours en pyjama. Trish se tourne vers elle et lui fait des gestes paniqués en mode : mais c’est qui ce type ?
Upamecano contourne Trish et marche vers Casca. Il ne fait aucun bruit quand il marche grâce aux semelles en caoutchouc de ses New Balance et à leur amorti de talon ABZORB.
Il s’arrête devant Casca le temps de l’observer. Casca est impressionnée par la taille et l’aura du chevalier, mais en même temps elle a l’impression de le connaître depuis toujours.
Upamecano s’agenouille.
Casca, dit-il, je m’appelle Upamecano et je suis l’ancien gardien de la couronne. Je suis là pour vous protéger et vous escorter vers le sanctuaire du roi.
Il se relève et va regarder par la porte-fenêtre du salon, qui donne sur la rue. Il voit la Mercedes Classe A de Nocturne et Leblanc qui se gare le long du trottoir. Il dit : nous avons peu de temps, suivez-moi.
Casca retourne aussitôt dans sa chambre, s’habille et commence à mettre ses affaires et des liasses de billets dans un sac à dos. Trish arrive en courant. Elle lui dit : mais tu vas quand même pas suivre ce. Elle cherche le bon mot. Elle dit : ce gars. Je croyais que tu voulais pas entendre parler de la couronne. Casca continue de remplir son sac en vitesse. Elle dit : je sens que je dois le suivre. Mais je ne peux pas t’expliquer pourquoi.
Et moi alors ? demande Trish.
Tu peux venir avec nous, dit Casca.
Casca rejoint Upamecano dans le salon. Il demande : vous avez la couronne ? Oui, dit Casca, elle est dans mon sac.
Trish fonce dans sa chambre et fait son propre sac à dos. Elle prend des trucs utiles comme des vêtements de rechange et sa trousse de toilette et des trucs moins utiles comme une figurine de Totoro et toutes les extensions de 7 Wonders.
Upamecano attend que Nocturne et Leblanc entrent dans l’immeuble. Il ouvre la porte-fenêtre et jette sa paire de New Balance par-dessus le garde-corps. Les deux baskets tombent en vrac sur le bitume de la rue.
Trish revient dans le salon et remarque qu’Upamecano n’a plus de pieds.
Upamecano dit : Armatura, Globus.
Toutes les pièces de son armure, ses grèves, ses genouillères, ses cuissots, son flancart, sa braconnière, ses gantelets, ses canons de bras et d’avant-bras, ses cubitières, ses spalières, son plastron, son épée et même son heaume se disloquent et se réagencent dans le vide pour former un escalier qui relie le balcon de l’appartement aux New Balance.
Là où était Upamecano, il n’y a plus rien.
Trish dit : il a disparu.
Non, dit le heaume d’Upamecano, mon aura est inscrite dans chacune des pièces de mon armure. Maintenant, descendez.
Casca enjambe le garde-corps et commence à marcher sur les genouillères qui flottent. Elle descend en prenant appui sur chaque pièce jusqu’à arriver en bas. Il faut se dépêcher, dit Upamecano, elles vont bientôt sonner à votre porte. Casca lève la tête vers Trish, qui hésite à se lancer. Je peux pas, dit Trish au bord des larmes, j’ai trop le vertige. Casca dit : fais-moi confiance, tu ne risques rien.
Trish passe une première jambe par-dessus le garde-corps.
Elle pense à la mort.
Elle se cramponne à la barre métallique. Elle pose son pied gauche à tâtons sur une des genouillères. Elle est surprise parce que même si la genouillère flotte dans le vide elle est stable comme une vraie marche d’escalier.
Leblanc sonne à la porte.
Le bruit surprend Trish, qui allait poser son pied droit sur l’autre genouillère. Elle perd l’équilibre et tombe à la renverse. Upamecano est obligé de se réagencer en urgence pour amortir sa chute à mi-hauteur. Il y a un bruit de tôle froissée qui réveille les voisins. Des lumières s’allument dans les appartements.
Plus vite, dit Upamecano.
Leblanc sonne une seconde fois.
Trish se relève et finit de descendre les pseudo-marches sans réfléchir. Casca la prend dans ses bras. Upamecano retrouve sa forme habituelle, et toutes les trois s’en vont en courant.
Nocturne demande : tu veux que je défonce la porte ?
Attendons encore un peu, dit Leblanc, elle dort peut-être.
Leblanc sonne une troisième fois.
Le voisin de palier ouvre sa porte.
Il demande : vous avez fini de sonner comme ça ? On peut pas dormir. Leblanc dit : je suis désolée monsieur, c’est une affaire de police. Elle sort de la poche de son pantalon une fausse carte, qu’elle lui montre. Le voisin lit Inspectrice Leblanc, police de Miami. Elle dit : pour votre sécurité, je vais vous demander de bien vouloir rentrer chez vous, et de verrouiller votre porte.
Le voisin obéit mais continue de les regarder à travers l’œilleton.
Il les voit en train d’attendre.
Leblanc donne un ordre à Nocturne, qui recule pour défoncer la poignée d’un seul coup de pied.
Elles entrent dans l’appartement, et le voisin ne les voit plus.
Nocturne remarque la porte-fenêtre encore ouverte dans le salon. Elle regarde dans la rue en se penchant par-dessus le garde-corps. Elle dit : elle s’est enfuie. Elle savait qu’on venait ? On dirait, dit Leblanc. Elle fouille la chambre de Casca et trouve le sac que Mista lui a donné à L’Alambra.
La couronne n’est plus dedans.
On la poursuit ? demande Nocturne.
Leblanc réfléchit.
Elle dit : c’est inutile. On ne sait pas dans quelle direction elle est partie. Elle entre dans la chambre de Trish mais ne sent rien qui l’intéresse. Elle revient dans le salon. Nocturne est assise sur le canapé. Elle demande : tu penses que c’est Vega ? Non, dit Leblanc, il l’aurait tuée.
Depuis qu’elles sont entrées dans l’appartement, il y a un truc qui dérange Leblanc. Elle demande à Nocturne : tu ne sens pas une aura étrange ? Nocturne allume la télé et fait semblant d’essayer de ressentir quelque chose.
Elle dit : non, je sens rien.
Elle regarde une chaîne qui diffuse des clips en boucle. Les clips sont classés par ordre décroissant selon les ventes du mois en cours.
Leblanc s’accoude sur le garde-corps et sent l’air frais de la nuit au bord de l’océan. Elle entend la musique dans son dos. La chanteuse dit qu’elle chante pour celui qu’elle aime et qui l’attend à la maison. Leblanc regarde les voitures passer dans la rue et les lumières dans la nuit. Elle se sent bien près de cette aura inconnue.
Elle regarde la photo d’identité de Casca.
Elle dit : j’ai hâte de te rencontrer.
Casca, Trish et Upamecano courent toujours dans les rues de Portobello.
C’était qui ? demande Trish. Des personnes qui veulent aussi la couronne, dit Upamecano. Vous avez un véhicule ? Non, dit Trish, on est trop pauvres pour avoir une voiture. Elle demande à Upamecano s’il ne peut pas se transformer en moto ou en hélicoptère. Il dit : je suis désolé mais mon armure n’a pas de roues ni d’hélices.
J’ai peut-être une solution, dit Casca.
Elle les mène vers une ruelle en impasse qui se trouve près du port de pêche. Il y a des bennes à ordures, des murs de briques, des affiches pour un concert de Coltrane 3000, les sorties de secours de deux restaurants et une grande bâche tout au fond qui a l’air de recouvrir un tas de matériaux de bricolage.
Casca ouvre la poche avant de son sac à dos et sort un trousseau de clés.
Les clés d’une Lamborghini Aventador.
Elle s’approche de la grande bâche et commence à l’enlever en la roulant sur elle-même. Trish voit la voiture qui se révèle petit à petit. Elle pense : c’est pas possible. Quand il n’y a plus de bâche, elle voit la voiture en entier. Elle dit : depuis quand t’as une Lamborghini ?
C’est la voiture avec laquelle je suis partie de L’Alambra, dit Casca.
C’est parfait, dit Upamecano.
Casca dit : par contre il n’y a que deux places.
Ce n’est pas grave, dit Upamecano, vous pouvez me ranger dans le coffre. Casca l’ouvre et commence à ranger les différentes pièces de l’armure. Tout passe pile poil. Elle dit : c’est peut-être plus pratique si on garde votre heaume avec nous. Bonne idée, dit Upamecano.
Casca et Trish s’installent dans la Lamborghini. Trish tient le heaume d’Upamecano sur ses genoux. Elle demande : tu sais la conduire ? Casca dit : je me débrouille.
Elle soulève un petit capot rouge sur le tableau de bord central et appuie sur le bouton Start. Après elle appuie sur la flèche juste au-dessus pour passer en mode Sport. Elle presse un peu la pédale d’accélérateur. La voiture fait un bruit de dingue.
C’est bon, dit Casca, je suis prête.
Elle demande : où est-ce qu’on va ?