14. La couronne en or
Trish dit : c’est quoi ce truc.
Je sais pas, dit Casca. C’était au fond du sac.
Le sac est ouvert en grand sur le lit avec les liasses de billets éparpillées à côté et par terre. Trish pense : il y en a au moins pour 500 000 $. Elle dit : et ces billets, tu les sors d’où ?
C’était aussi dans le sac, dit Casca.
Trish dit : eh ben, t’as vraiment de la chance. Moi je trouve jamais ce genre de sac.
Casca n’a toujours pas raconté à Trish ce qui lui était arrivé à L’Alambra. Elle a gardé le secret parce qu’elle avait peur de l’impliquer dans quelque chose de grave.
Trish éteint le plafonnier pour voir si la couronne est vraiment magique ou si c’est juste sa surface qui crée des reflets. Même dans le noir elle continue de les éblouir de sa lumière d’or.
La lumière la plus apaisante qu’elles aient jamais observée.
Une lumière divine.
Trish demande à Casca de lui prêter la couronne. Casca la lui tend. Trish la prend entre ses mains et d’un coup la lumière disparaît. Qu’est-ce qui se passe ? demande Trish. Je sais pas, dit Casca, peut-être que tu la tiens mal. Trish la tourne dans tous les sens et la secoue. Elle la pose sur sa tête. Elle demande : ça me va bien ?
Oui ça va, dit Casca. Elle se sent mal à l’aise. C’est comme si Trish faisait quelque chose d’interdit. Quelque chose comme : tuer une amie et usurper son identité.
Casca récupère la couronne, et la lumière revient.
Trish dit : on dirait qu’elle réagit qu’à toi.
Casca ne sait pas quoi dire.
Peut-être que t’es une élue et que tu dois accomplir une mission, dit Trish. Elle l’imagine mener une armée de 1000 hommes et sauver le monde. Casca dit : non, je ne pense pas. Elle range la couronne dans le sac et la recouvre avec les liasses de billets, comme si elle voulait ensevelir un corps.
Tu fais quoi ? demande Trish.
Je ne veux plus en entendre parler, dit Casca. Elle range le sac dans l’armoire et ferme l’armoire. Elle dit : laisse-moi maintenant, s’il te plaît. Trish a un mouvement de recul. Elle dit : OK, comme tu veux.
Elle retourne dans le salon devant son ordinateur et tape couronne or brille magique dans Google. Elle trouve des sites pour des papiers peints. La légende d’un des papiers peints dit : photo mystérieuse et magique de la couronne du roi en or sur la pierre recouverte de mousse dans un paysage de champs éclairé de lumière. Mais la couronne sur l’image ne ressemble pas à celle de Casca.
Elle continue ses recherches.
Il y a beaucoup de sites de papiers peints.
Un autre site plus intéressant dit que tout trésor est source de lumière et que tout ce qui brille fait rêver. Il explique que rêver d’or est la révélation d’un potentiel et d’une valeur cachée. Plus bas sur la même page il y a des dessins d’enfants : un poisson d’or, un arbre aux pommes d’or et une perle phosphorescente.
À la page 8 des résultats de recherche Trish trouve encore un autre site avec écrit : les couronnes sont des disques et des cercles concentriques de dimensions variables qu’on observe autour du Soleil ou de la Lune. Elle fait défiler la page mais ne comprend pas la moitié de ce qu’elle lit.
Elle ferme son ordinateur et va se coucher.
Pendant la nuit Casca entend une voix qui lui dit : tu es en danger.
Elle voit une citadelle qui flotte au-dessus d’un continent de glace, une lumière vive au fond d’une crevasse, plusieurs silhouettes qui marchent dans le blizzard.
Une femme avec des ailes d’ange et une armure de métal qui s’élève au-dessus du sol et ouvre les bras. Des milliers de traits de lumière projetés dans tous les sens.
Des lèvres qui bougent au ralenti et forment chacune des lettres du mot PARADIS.
Un adolescent qu’elle n’a jamais vu marche devant elle et se retourne. Il dit : suis-moi. Ses yeux s’ouvrent en grand et ses pupilles brûlent comme des flammes.
Casca, dit-il, rejoins-moi.
Il tend la main.
Une planète explose.
Casca se réveille en sursaut.
Elle voit Trish au pied de son lit en train de fouiller dans le sac de sport.
Elle dit : qu’est-ce que tu fais. Il faut que je comprenne, dit Trish. Elle jette les liasses de billets dans son dos. Arrête, dit Casca. Trish fait comme si elle ne l’entendait pas. Casca se lève et attrape un des bras de Trish.
Trish regarde Casca droit dans les yeux.
Elle demande : c’est quoi cette couronne ?
Casca dit à Trish de s’asseoir à côté d’elle sur le lit. Elle dit : je vais te raconter. Elle lui explique en détail tout ce qui lui est arrivé à L’Alambra, du moment où Copperfield est entré dans le club-house pour la première fois jusqu’à celui où Mista lui a donné le sac.
Elle parle de sa rencontre avec Copperfield. Elle pense à la façon qu’il avait de se cacher le visage quand il rigolait à ses blagues, ou au ton de sa voix quand il expliquait son enquête.
Elle se souvient du dernier sourire qu’elle lui a adressé.
Elle mime le moment où Mista est entré dans le club-house et a tiré sur tout le monde avec son fusil à pompe. Elle fait les mêmes gestes qui servent à recharger l’arme, mais sans l’arme.
Trish garde la bouche grande ouverte tellement elle est choquée par l’histoire.
Elle voit la scène comme celle dans Matrix quand Neo et Trinity entrent dans un hôtel et fusillent des dizaines de militaires et que les douilles de leurs fusils mitrailleurs tombent au ralenti sur le carrelage en marbre.
Elle imagine Casca à la place de Trinity, et Mista à la place de Neo.
Elle demande : et toi t’étais où ? Je m’étais cachée derrière le comptoir, dit Casca. Trish pose une main sur son menton. Elle demande : mais alors comment tu sais quels gestes il faisait pour tirer ? Je ne sais pas exactement, dit Casca, mais je suppose.
Ah ouais OK, dit Trish.
Elle est déçue.
Elle arrête d’imaginer Casca à la place de Trinity.
Pour finir Casca lui raconte comment Mista s’est approché d’elle, l’a aidée à se relever, l’a escortée hors du club-house et lui a donné le sac.
Trish regarde le sac.
Elle dit : mais pourquoi il te l’a donné. Je n’en ai aucune idée, dit Casca. Peut-être qu’il a eu pitié de moi et qu’il voulait m’aider en me donnant de l’argent.
Trish dit : non mais je te parle pas de l’argent, je te parle de la couronne. Pourquoi il te l’a donnée ? Je n’en sais rien, dit Casca. Il ne savait peut-être pas qu’elle était dedans. C’est vraiment bizarre, dit Trish.
Il n’y a pas de conclusion satisfaisante à leur conversation.
Elles tournent toutes les deux la tête en même temps vers la porte d’entrée.
Quelqu’un vient de sonner.