11. Le premier sacrifice
Je savais qu’on allait y arriver, dit Vega.
Son appartement n’a que deux pièces : un salon et une chambre. La salle de bains et les toilettes sont communes à tout l’étage.
L’odeur est partout.
Dans le salon il y a un vieux canapé, une table basse et un bureau. La table basse et le bureau sont recouverts de cahiers, de verres avec du sirop séché dedans, de tickets de caisse, de piles, de mouchoirs sales et d’autres vieux trucs sans nom. L’évier de la petite cuisine est plein de vaisselle sale avec des champignons qui poussent dans les assiettes et des céréales qui flottent dans du lait rance.
Vega prend une feuille dans le tas en vrac sur sa table basse et la montre à Tim. Il dit : regarde.
L’odeur est partout.
Tim calme son envie de vomir en se cachant le nez avec un mouchoir. Il prend la feuille de sa main libre. Vega a dessiné un circuit comme le cycle de l’eau dans les manuels scolaires, avec une flèche rouge qui part du sol, monte vers les nuages et redescend avec la pluie.
Une flèche rouge part d’un corps humain et serpente entre les immeubles, les maisons et les arbres pour aller se loger dans une couronne.
C’est quoi ? demande Tim.
L’odeur est partout.
C’est écrit là, dit Vega.
Il y a écrit : SOLUCE POUR LOCALISER LES ARTEFACTS.
Vega dit : tu te souviens, on avait découvert qu’après la mort l’aura quittait le corps et disparaissait dans la lumière. Mais en fait, il n’y a que les auras heureuses qui font ça. Les auras malheureuses des gens tués ou suicidés font un autre truc. Il pose son index sur la feuille et suit avec le trajet de la flèche. Il dit : plutôt que de s’évaporer, elles errent dans les parages parce qu’elles cherchent un endroit pour les accueillir.
Il montre la couronne avec son index.
Il dit : et cet endroit, c’est un artefact.
L’odeur est partout.
Comment tu as fait ? demande Tim. De quoi, dit Vega. Pour trouver ça, dit Tim.
Vega ne répond pas.
Tim se lève et pousse la porte de la chambre.
Il était d’accord, dit Vega.
Tim se retourne et se jette sur Vega, qui tombe à la renverse. Il le prend par le col de son tee-shirt et le tire vers son visage. Il dit : Bryan, c’est qui dans la chambre. Un type, dit Vega. J’ai posté une annonce sur un forum. Il est venu de lui-même.
Il m’a dit qu’il était OK.
Il dit : je te jure.
Il a les larmes aux yeux.
Il dit : je te jure qu’il était d’accord.
L’odeur est partout.
Tim plaque Vega contre le parquet et lui cogne l’arrière du crâne. Il dit : pourquoi tu m’as rien dit. Je voulais te faire la surprise, dit Vega. Je pensais que tu serais content. Ses larmes font des marques d’eau sur le bois. Tim dit : t’as détruit notre rêve. Je pourrai jamais te pardonner. Il colle son front à celui de Vega.
Il dit : tu es tout seul maintenant.
Il lâche le col du tee-shirt et quitte l’appartement.
La porte reste ouverte derrière lui.
Vega attend tout l’après-midi dans cette position. Quand il fait nuit il se relève. Il touche l’arrière de son crâne et regarde ses doigts. Il y a du sang et des cheveux dessus. Il s’essuie sur son pantalon.
Il marche vers une commode dont il ouvre un tiroir. Dedans il y a des boîtes de jeux N64, des cartes Magic en vrac, des chargeurs, des photos de souvenirs et un vieux masque que Tim lui avait offert au début de leurs recherches.
C’est un masque spécial, tout en cuir noir, avec une énorme fermeture éclair au milieu qui s’ouvre à la verticale. Tim lui avait dit : je l’ai acheté à un marchand sur la plage de Miami. Il m’a dit que c’était le masque d’un dieu oublié. Il m’a dit : celui qui le met peut changer le futur.
Vega l’enfile.
C’est le début de l’histoire.