C’est le moment de parler de Bryan Vega.

Tim fait sa connaissance en 1999 au lycée Decker, à Miami.

Vega emménage avec ses parents en cours d’année et il ne connaît personne. Il porte des pantalons trop courts et des sweats moches. Il passe tous les temps de pause seul sur une table de pique-nique dans un coin de la cour. Il mange des sandwiches au beurre de cacahuète et à la confiture que sa mère lui prépare dans des Tupperware à la bonne taille.

Il lit des trucs sur son IBM ThinkPad.

Les autres élèves se moquent de lui et lui donnent des surnoms.

Tout le monde le trouve trop bizarre.

Un midi Tim s’assoit à sa table et lui demande ce qu’il fait. Vega est méfiant donc il cache l’écran de son ordinateur. Il dit : tu peux pas comprendre. OK, dit Tim, comme tu veux. Et il repart.

Le lendemain il revient et lui demande la même chose. Et Vega lui répond la même chose. Pendant deux semaines Tim vient s’asseoir jusqu’à ce que Vega cède et lui montre son écran.

Tim voit qu’il va sur des forums où il y a écrit : dimensions alternatives de la conscience, hyperimmersion, shift, état de vide, réalité de base et rêverie compulsive. Il parle avec des gens de voyages dans d’autres mondes.

HunterAyaya dit :
pour le moment l’objectif c’est d’arriver à shifter
quelques minutes dans ma réalité rêvée
la plupart des gens commencent par des mini-shifts ensuite ils prennent confiance et font des expériences plus longues

new___era dit :
prenez du recul pour comprendre que ce sont
des niveaux de conscience
il existe des niveaux où personne n’est jamais allé

HunterAyaya dit :
ouais
et la loi d’assomption est importante
vous mettre dans l’état d’esprit où vous pensez au shift
comme à quelque chose que vous faites déjà naturellement
vous permettra de réussir beaucoup plus rapidement à shifter
entre votre réalité A et une réalité B

Tim pense : c’est pété. Il demande à Vega pourquoi il lit ces trucs.

J’aime pas ma vie, dit Vega. Et tu crois que ça va t’aider de shifter ? demande Tim. Le shift c’est le principe, dit Vega. Moi je m’en fous de rêver que je suis un matelas qui parle ou d’ouvrir mon 7e chakra. Mais il doit y avoir un moyen de tout changer en vrai. Tout changer quoi ? demande Tim. Tout changer, dit Vega, genre, tout ce que tu vois là. Il montre les groupes d’élèves, les bâtiments, le bitume, le ciel. Il dit : les choses, les gens.

Tim voit dans les yeux de Vega qu’il est 100 % premier degré.

C’est le même genre d’honnêteté qu’un enfant de 7 ans qui accroche un bandeau sur son front, dit : je suis Naruto, et mime la technique du Multi Clonage. Ce n’est pas Naruto, il n’y a pas de clones, mais tout le monde est OK avec le fait qu’il est heureux de le croire.

Au lycée plus personne n’est OK avec l’idée d’être heureux.

Tim dit : je peux t’aider si tu veux. C’est vrai ? dit Vega. Ouais, dit Tim. C’est un projet cool, et puis j’ai rien de spécial à faire en ce moment.

Trop bien, dit Vega.

À partir de ce jour les deux se retrouvent d’abord à toutes les pauses, puis l’un chez l’autre, les soirs, les week-ends, pendant les vacances. Ils ne parlent que de leurs recherches, regardent toutes les nuits des émissions incompréhensibles sur des chaînes TV oubliées, parlent à des vieux mystiques qui leur donnent rendez-vous dans des grottes et des bois, achètent des peluches et des figurines maudites pour invoquer les morts.

Les autres élèves ne font plus attention à eux. Il n’y a plus de moqueries, plus de surnoms.

Ils font leur truc.

Et quand ils ne font pas leur truc, ils jouent à la Nintendo 64.

Vega développe une sorte de fascination mimétique pour Tim, qui est son premier ami. Il se met à s’habiller comme lui, se déteint les cheveux pour passer de brun à blond, copie certaines de ses expressions, certains tics qu’il a.

À la fin du lycée, plus personne ne sait vraiment qui est qui.

Ils entrent à l’université de Miami où ils s’inscrivent aux mêmes cours d’histoire antique, de paléontologie, de théologie et de physique. Ils profitent des archives de la bibliothèque universitaire. Ils trouvent de plus en plus de sites et de livres qui parlent de ce qu’ils cherchent.

Les filles et les garçons sur le campus les trouvent mystérieux et beaux.

Ils font des découvertes qu’ils cachent comme des trésors.

Jusqu’au jour où ils découvrent le livre qu’ils cherchaient.

Un livre en latin intitulé IN LACVS DOMO, écrit par Simon le Mage. C’est un livre plutôt bref avec des enluminures. Il date de -91.

Simon le Mage y parle de trois artefacts sacrés : une couronne, une pierre et un corps qui sont dispersés dans des sanctuaires invisibles pour les humains, et protégés par une entité supérieure que Simon le Mage appelle le roi.

Il n’y a pas plus d’informations : pas de méthode pour obtenir les artefacts, pas de coordonnées pour trouver l’entrée des sanctuaires, pas de façon d’identifier le roi.

Mais Vega sent que c’est la piste la plus proche de son rêve.

Tim et lui se lancent alors dans toutes les expérimentations possibles. Ils font des liens tordus avec d’autres théories qu’ils ont notées sur leurs ordinateurs et dans leurs carnets. Ils orientent tous les signes qu’ils rencontrent vers leur quête des artefacts.

Ils dessinent une carte du monde à leur idée.

Il y a des avancées importantes : c’est à cette période qu’ils découvrent l’existence des auras, qui permettent de ressentir la présence d’êtres et d’objets uniques. Ils découvrent aussi des passages secrets à Miami et dans plusieurs villes à côté.

Ils comprennent qu’ils doivent réfléchir autrement.

Un soir, Vega appelle Tim.

Sa voix n’est pas comme d’habitude.

Il dit : je dois te montrer quelque chose. Ça va ? demande Tim. Oui oui, dit Vega, viens vite. Tim prend sa voiture jusqu’à l’appartement de Vega, qui lui ouvre avec un grand sourire.

Il y a pourtant une odeur atroce.