Pantone arrive en Suzuki X-90 à L’Alambra, mais il est arrêté par un barrage policier qui coupe les deux accès principaux. Il baisse la vitre et demande ce qui se passe. Un policier approche. Pantone ne voit pas son visage dans le contre-jour.

Le policier dit : monsieur, je vais vous demander de bien vouloir faire demi-tour.

Qu’est-ce qui se passe ? demande Pantone.

Le golf est fermé, dit le policier, faites demi-tour. Il y a des morts ? demande Pantone. Le policier a l’air agacé. Il pose sa main sur l’étui de son 9 mm. Monsieur, dit-il, je vais vous demander de couper le contact et de sortir de la voiture.

Pantone dit : je vais plutôt faire demi-tour.

Le policier fait glisser le 9 mm hors de son étui. Il dit : monsieur, sortez de la voiture. OK, OK, dit Pantone, comme vous voulez. Il ouvre la portière et pose un premier pied dehors. Il dit : voilà, vous voyez, je sors là. Le policier recule et lève un peu son 9 mm. Il dit : hors de la voiture. Je veux voir vos mains.

Pantone fait ce que le policier lui dit. Il sort de la voiture et avance les mains devant lui, les paumes vers le sol. Il s’approche du policier. Je veux voir vos mains, dit le policier.

Pantone continue d’approcher.

Il dit : là vous voyez mes mains.

Mais ses paumes sont toujours tournées vers le sol.

Vos mains, hurle le policier, je veux voir vos mains.

Alors Pantone tourne les paumes de ses mains d’un coup vers le ciel, comme s’il faisait un tour de magie. La peau des paumes et de l’intérieur des doigts est recouverte d’un rouge clair.

Pantone dit : Pantone Première, Red Fiesta.

Le rouge prend une intensité phénoménale. Le policier ne peut pas s’empêcher de le regarder, mais la couleur devient tellement vive qu’elle lui brûle les yeux. L’humeur aqueuse se met à couler hors des orbites. Il lâche son arme et hurle en se tenant le visage. Les globes oculaires fondent comme du plastique au micro-ondes.

Le feu atteint bientôt l’intérieur de son crâne et mange son cerveau.

Le policier bascule en arrière et s’effondre mort.

Pantone Première est la première apparition d’une aura éveillée.

Tout le monde possède une aura, une force qui prolonge ses intentions profondes. La plupart des personnes n’ont qu’une conscience diffuse de cette force invisible qui les englobe, et elles vivent sans que cela influe sur le cours de leurs vies.

Mais d’autres personnes partout dans le monde ont compris le potentiel que les auras cachaient, et elles les ont développées au maximum.

Ce développement total de l’aura s’appelle l’éveil.

Pantone déshabille le policier pour enfiler son uniforme. Il cache le corps dans un talus et continue sa route à pied jusqu’au club-house. Il croise beaucoup d’autres policiers à qui il dit bonjour comme s’il les connaissait. Il ne voit aucun cadavre ni aucun sac mortuaire.

Il entre dans le club-house.

Une femme est là, qui n’a pas le même uniforme que les autres policiers.

C’est Red, la coroner de Myriad Pro.

Elle est accroupie pour examiner une substance sur le carrelage. Pantone s’approche. Il demande : alors, quelles sont vos conclusions ?

Red lève les yeux pour voir son visage. Elle dit : vous êtes ? Brigadier Pantone, dit Pantone. Red se redresse et lui serre la main. Elle dit : je ne vous avais jamais vu au commissariat. Pantone se gratte l’arrière de la tête comme s’il était gêné.

Il dit : c’est normal, je viens d’arriver à Myriad Pro.

Il lui sourit.

Red dit : ce qui s’est passé ici est un mystère. Plus de 40 personnes ont disparu, mais il n’y a aucune trace d’affrontement : pas de sang, pas de dégâts. Même les voitures sont encore garées sur le parking.

C’est vraiment étrange, dit Pantone avec une intonation d’enfant.

L’inspecteur Copperfield aussi a disparu, dit Red. Je sais qu’il devait venir ici hier soir, mais depuis je n’ai plus aucune nouvelle. Et sa Polo est dehors avec les autres voitures.

Pantone pose sa main sur l’épaule de Red. Il dit : il ne faut pas vous en faire, on va trouver la solution à cette histoire. Il lui dit qu’il va voir sur le parcours pour chercher d’autres indices. Il sort du club-house, traverse le parking et commence à marcher sur le fairway.

Il pense à la souplesse et à la résistance de l’herbe.

Il remarque un petit rectangle où la pelouse est encore couchée, au fond du parcours, près du départ du trou 7. Il le trouve marrant et un peu triste. Il regarde le ciel comme s’il y avait quelque chose à y chercher.

Il découvre un carnet un peu mangé par l’humidité dans les hautes herbes près du plan d’eau du même trou. Sur la première page il y a écrit : Ce carnet appartient à Copperfield.

Dedans il y a des fragments de textes, des listes, des notes et des dessins. Il y a aussi plein d’indices qui lui étaient utiles pour son enquête. Ce sont ces indices qui lui ont permis de comprendre que le propriétaire de L’Alambra, le proviseur du collège et le président du club de natation de Myriad Pro étaient à la tête d’un réseau pédophile responsable de la disparition et du meurtre de dizaines d’adolescents dans la région.

Pantone pense d’abord qu’il devrait le donner à Red, mais il finit par le garder pour lui.

En quittant le parcours, il passe sur le trou 9 à côté d’un massif rocheux qui sert de décor et de zone hors limite. Ce massif émet une drôle d’aura.

Pantone s’en approche et découvre un passage qui ressemble à la galerie d’un gros rongeur, avec des marches en pierre au sol et plus loin des torches suspendues.

L’accès a l’air condamné par un éboulis de gravats mais il réussit à se faufiler entre deux grosses pierres en équilibre. Il caresse la mousse qui s’est formée sur les parois.

Il avance jusqu’à ce que le vide l’en empêche.

Une salle se trouve en contrebas mais l’escalier qui permet de descendre a été détruit par un éboulement. Pantone aperçoit des bouts de fauteuils et des tapisseries au sol entre les rochers.

Il n’a pas de matériel de spéléo donc il descend la paroi à mains nues en prenant un maximum de risques. En bas il découvre des dizaines de cadavres d’hommes en tenue cérémonielle écrasés sous des rochers. Certains que la tête, certains que les jambes, certains un bras et certains en entier avec une mare de sang autour.

C’est terrible à voir.

Il continue d’explorer la cavité mais ne trouve rien qui l’intéresse.

Il s’assoit sur l’accoudoir d’un fauteuil.

Il reste là, au milieu du bordel et des morts.

Il dit : c’est une bonne cachette.

Il entend un murmure.

Au début il pense que c’est un des hommes écrasés qui respire encore, et après il comprend que c’est autre chose. Il n’a pas l’impression que quelqu’un lui parle à lui, mais plutôt qu’il se trouve sur le chemin d’une onde et qu’il doit trouver son point d’émission.

Il suit le murmure qui le fait passer par une série de nouveaux accès encore plus étroits, jusqu’à arriver devant une succession d’arcades intactes. Il sent que quelqu’un a marché là avant lui, comme si son fantôme lui montrait le chemin.

Il avance sous les arcades et dans le froid pour atteindre une salle magnifique au plafond incrusté de cristaux. Et au milieu de cette salle, il y a un corps immense.

Le corps d’un géant avec une couronne gravée sur le front.

Asim, le gardien.

Pantone comprend que c’est lui qui murmure, et ses murmures prennent une forme plus compréhensible à son contact. Asim répète toujours les mêmes paroles. Il dit : le roi m’attend au paradis. Pantone sent une grande tristesse dans l’aura du colosse. C’est une tristesse qu’il connaît bien parce que c’est celle qu’il ressent quand il se retrouve seul.

Il s’agenouille à ses côtés et lui dit : ne t’inquiète pas, je vais t’aider.