8. Sur l'autoroute
Sur l’autoroute, les arbres plantés de part et d’autre des voies s’alignent de manière à créer un environnement varié mais rassurant. Les nuages sont disposés de telle façon dans le ciel qu’ils forment comme des montagnes à l’horizon.
Une BMW M4 noire de 450 chevaux et une Audi A3 slaloment à 160 km/h entre les autres voitures.
Celui qui conduit la BM s’appelle Mista ; Rivage conduit l’Audi.
Tout a commencé quand Mista a refusé la priorité à Rivage sans s’excuser, dans un rond-point à 300 mètres du collège. À ce moment-là, Rivage a pensé que ce conducteur n’avait aucune maîtrise du Code de la route, et qu’il méritait que quelqu’un le lui dise, au moins par principe.
Depuis 10 minutes, ils roulent l’un derrière l’autre. Le simple désir de mise en garde de Rivage a pris une autre ampleur.
La distance entre eux ne varie pas, même si l’adhérence de la voiture de Mista facilite la prise des virages serrés. C’est une voiture faite pour ce genre de course.
Tous les autres conducteurs dans leurs voitures banales se demandent qui sont ces fous. Ils ne se doutent pas que les deux pilotes maîtrisent parfaitement la situation. Quand ils entendent les bruits de moteur se rapprocher, les enfants collent leurs visages aux vitres latérales, mais ils ne voient rien et sont déçus.
Rivage a les deux mains sur le volant. Il passe les vitesses très vite en faisant buter le levier contre le plastique ; chaque fois, l’aiguille du compte-tours passe dans le rouge.
Mista replace son regard dans le rétroviseur central pour confirmer le visuel sur Rivage. Pendant ce très court laps de temps, il ne voit pas l’homme en tenue de camouflage caché dans les buissons de l’accotement qui lui envoie une volée de picots pour crever ses pneus.
Mista sent l’avant de sa BM vaciller et braque par réflexe ; sa voiture se déporte vers la gauche, heurte la glissière centrale et part en tonneaux.
La scène est très impressionnante. Une quantité démentielle de débris vole un peu partout. Certains sont aussi gros que des balles de tennis. Aucun dommage collatéral n’est causé.
La course-poursuite en voiture se termine comme ça.
Rivage se gare sur la bande d’arrêt d’urgence et allume ses warnings. C’est la première étape de la procédure à suivre en cas d’accident.
Copperfield voit Mista ramper hors de l’habitacle de la BM et traverser à pied la voie qui va en sens inverse. Il le regarde quitter l’autoroute. Pendant ce temps, Rivage indique aux conducteurs derrière eux la voie de contournement à suivre pour éviter les débris.
Rivage et Copperfield rejoignent le milieu de l’autoroute et attendent au bord de la voie inverse.
Rivage dit : statistiquement, on a 2 % de chances de réussir à atteindre l’autre côté. Copperfield fait oui avec la tête. Tout ça, dit Rivage, c’est mathématique. Un groupe de 170 scientifiques dans une université à Austin a calculé qu’entre la vitesse de notre marche, la vitesse des voitures, le nombre de voitures qui passent par seconde et l’espace à traverser, on aboutissait à 2 % de réussite. C’est vraiment pas beaucoup. Copperfield imagine les 2 % dans un graphique en forme de camembert.
Rivage dit : mais si on reste ici, notre espérance de vie est de 3 minutes.
Copperfield ne voit même pas les voitures tellement elles roulent vite. Rivage lui explique qu’à cette vitesse leur cerveau ne peut pas anticiper les distances.
Finalement, Rivage se lance et atteint l’autre côté.
Parmi toutes les voitures qui sont passées depuis le début de leur conversation, trois écoutaient la même émission radio consacrée à des découvertes étranges en Arctique.
Un virus enfoui depuis quatre millénaires dans la carcasse d’un mammouth serait en train de se répandre sur le continent et de contaminer les mers. Un bactériologue interrogé par un journaliste dit : c’est un virus extrêmement puissant, dont on ne sait rien.
Il ne reste plus que 40 secondes à Copperfield avant que son espérance de vie ne tombe à 0. Il demande à Rivage : vous êtes sûr que je ne risque rien ? Rivage fait semblant d’avoir entendu la question et lève son pouce.
Copperfield atteint l’autre côté tout en pensant à la mort, qui est aussi l’autre côté.
Il se retourne et voit sur sur le terre-plein central un double de lui qui n’aurait pas traversé se faire faucher par un camion. Rivage dit : on a eu chaud.
Ils franchissent un fossé et montent un talus d’au moins 4 mètres. Au loin, ils repèrent Mista qui court à travers champs.