6. Là où Cliff est mort
La plupart des meubles sont sous des draps blancs.
Safia Sofi a juste le temps d’atteindre une fenêtre de la façade ouest pour apercevoir Daisuke monter avec Jared au premier étage.
Les deux policiers et le chauffeur sont installés dans différents coins du rez-de-chaussée : un policier est debout près de la fenêtre de l’escalier pour surveiller la rue, l’autre assis sur un coin du canapé pour lire des trucs sur son téléphone, et le chauffeur fouille dans les placards de la cuisine pour trouver un reste de café ou des biscuits.
Ils arrivent à quelle heure ? demande le policier qui surveille la rue. Dans la soirée, dit le chauffeur. On n’a pas d’heure précise.
Safia Sofi n’entend pas ce qu’ils disent à cause du double vitrage.
Le chauffeur trouve deux dosettes à peine périmées dans un tiroir avec une douzaine de patins en feutre et deux piles qui roulent. Il dit : vous prenez du café ? Ça ira merci, dit le policier qui surveille la rue. L’autre fait non de la tête.
Le chauffeur verse la dosette dans un verre et recouvre la poudre d’eau chaude du robinet. Il s’assoit à une table encore sous son drap pour boire tranquille.
Il demande : vous venez de Miami ? De Myriad Pro, dit le policier qui surveille la rue. Le chauffeur regarde l’autre policier qui lui tourne le dos. Il dit : il parle pas ton collègue ? Il préfère pas, dit le policier.
Safia Sofi n’arrive pas à deviner s’ils attendent que Daisuke et Jared redescendent, ou que d’autres personnes les rejoignent.
Elle décide de revenir à l’avant de la villa pour trouver un autre point de vue sur la chambre, mais le policier qui surveille la rue ouvre la porte à ce moment-là pour fumer une cigarette.
Safia Sofi recule dans l’ombre.
Le policier continue de discuter avec le chauffeur à l’intérieur mais souffle sa fumée dehors.
Il demande : les meurtres datent de quand ? Safia Sofi n’entend pas la réponse du chauffeur. Le policier demande : toute la famille ? Une autre réponse inaudible du chauffeur. Le policier demande : c’est une sorte d’exorcisme ? Une autre réponse inaudible du chauffeur.
C’est alors que tout le monde entend les hurlements de Jared à l’étage.
Le policier jette son mégot dans le jardin et rentre en urgence à l’intérieur. Safia Sofi revient vers son premier poste d’observation : les deux policiers et le chauffeur montent vers le premier étage.
Elle en profite pour s’infiltrer par l’entrée et se cacher dans la penderie. Elle voit désormais le monde sur une ligne verticale de 3 cm d’épaisseur.
Il y a de nouveaux hurlements de Jared, et plusieurs voix par-dessus qui semblent en colère. Il y a pour la première fois des bruits de coups.
Le portable de Safia Sofi vibre dans sa poche.
Une voiture arrive.
Il vibre une nouvelle fois.
Le policier qui ne parle pas descend au rez-de-chaussée. Le téléphone vibre toujours. Le policier s’arrête un moment et regarde autour de lui parce qu’il a l’impression qu’il y a eu du changement dans la pièce. Safia Sofi cache son téléphone sous ses vêtements pour atténuer le bruit des vibrations. Le policier regarde de façon plus insistante vers la penderie et s’en approche.
C’est quand il va pour l’ouvrir que quelqu’un sonne.
Il abandonne donc l’idée d’ouvrir la penderie pour accueillir celle d’ouvrir la porte d’entrée.
Il y a face à lui deux gardes du corps en costume noir avec des oreillettes qui demandent si le périmètre est sécurisé. Il fait oui de la tête. Un garde entre pendant que l’autre fait signe derrière lui de les rejoindre.
Alors un flux incessant de gardes du corps et de policiers se déverse au rez-de-chaussée comme des billes de polystyrène dans un carton vide.
Il n’y a bientôt plus une seule dalle de carrelage libre pour marcher.
Ils se mettent tous en ordre pour accueillir une dernière personne, que Safia Sofi ne réussit pas à voir, puis ils referment la villa.
Elle prend son téléphone pour dire à Saskia de ne surtout pas rester ici, et voit enfin le message qu’elle lui a envoyé.
Elle a écrit :
JE NE SAIS PAS QUOI FAIRE !!!!
IL Y A 15 VOITURES QUI ARRIVENT !!!!!!!