1. Casca, Trish et le sac de sport
La plage de Portobello est grise à cause des nuages qui cachent le soleil. Toutes les maisons sur la digue sont vides et les volets sont baissés. Les gens sont rentrés pour la semaine dans leurs villas à Miami.
Des nuages bougent et laissent passer la lumière du soleil, qui tombe sur la plage avec la forme d’un halo divin.
Casca est assise en tailleur sur le sable. Elle écoute Dido chanter qu’elle aurait adoré vivre près de la mer pour voyager seule dans le monde entier. Le cercle de lumière est juste devant elle.
Elle pense : il doit faire chaud là-bas.
Le halo de lumière continue de se déplacer sur le sable. D’autres percées apparaissent et font des petits cercles un peu partout. Un chien court tout seul au bord de l’eau.
Le Samsung Galaxy de Casca sonne.
C’est Trish.
Casca sort l’iPod Classic de la poche de son manteau pour débrancher la prise jack de son casque et la brancher sur son téléphone.
Trish demande : t’es où ?
Je suis en ville, dit Casca, j’arrive. OK, dit Trish. Dépêche, c’est en train de refroidir.
Casca a 26 ans et travaillait jusque-là comme serveuse à L’Alambra, le golf de Myriad Pro. Elle a rencontré Trish quatre ans plus tôt à l’université, et depuis elles vivent ensemble à Portobello dans un T3 au 4e étage d’un immeuble avec chauffage central, place de parking et cuisine aménagée pour 660 $ par mois.
Trish aussi a un job alimentaire pas intéressant.
Dans sa chambre il y a un lit, un bureau avec un MacBook Air, un portant et une commode pour ranger tous ses vêtements sur cintres ou dans des tiroirs. Elle a laissé les murs blancs par flemme d’y accrocher des cadres.
La chambre de Trish ressemble aux chambres témoins sur les catalogues IKEA.
Celles dans lesquelles personne ne dort.
Casca n’a jamais réfléchi à la décoration de sa chambre. Elle a remis les meubles qu’elle avait déjà chez ses parents, et des souvenirs que ses amis lui ont ramenés de voyages à Panama City, Lalivero et Céladopole. Elle trouve que c’est une chambre qui lui ressemble.
Casca ouvre la porte d’entrée et voit Trish à table en train de manger devant son ordi.
Trish dit : tu peux te servir, la casserole est dans la cuisine.
Casca prend une portion dans un bol et la rejoint.
Trish regarde la vidéo d’une fille qui teste tous les restaurants de Miami. Chaque jour elle mange dans un restaurant différent. Trish ne pensait pas qu’il y en avait autant. Elle dit à Casca : t’imagines, il y a 500 restaurants juste dans le centre-ville.
Elle dit : c’est fou.
Casca voit que Trish a l’air d’envier le mode de vie de cette fille. Elle pense que tout ce que fait Trish dans sa vie, elle ne le fait qu’après avoir vu quelqu’un d’autre le faire sur YouTube. Rien ne vient vraiment d’elle.
Alors, t’aimes bien ? demande Trish. Elle lui montre son bol. Oui, dit Casca, c’est très bon. J’ai trouvé la recette sur Internet, dit Trish. J’avais pas tous les ingrédients alors j’ai changé deux-trois trucs, mais je pense que c’est pareil.
Trish pense que les ingrédients qu’elle a changés ne modifient pas le goût de la recette parce que ce ne sont pas des ingrédients primordiaux. Les ingrédients primordiaux sont ceux qui donnent son nom à la recette.
Dans un plat de lasagnes aux épinards, il ne faut surtout pas changer les pâtes rectangulaires ni les épinards. Mais tout le reste est remplaçable. C’est pour cette raison que la pizza est un plat aussi modulable : son nom ne contient aucun ingrédient primordial.
En fait, il n’y a que les puristes qui ne veulent rien remplacer.
Les puristes des recettes sont les personnes les plus dangereuses que Trish a rencontrées sur Internet. Elles ne cherchent pas à transmettre leur passion. Elles veulent juste régner sur les recettes.
Casca débarrasse son bol dans l’évier de la cuisine et marche vers sa chambre.
Tu te sens pas bien ? demande Trish. Casca dit : j’ai juste besoin de me reposer un peu. OK, dit Trish, comme tu veux. Elle relance la vidéo sur le restaurant Toro Toro.
Casca pose son iPod et son casque sur sa table de chevet et s’assoit sur son lit. Elle regarde l’armoire à sa gauche. Elle a l’impression qu’elle émet une énergie étrange. Elle se lève pour l’ouvrir.
Il y a un sac de sport Nike dedans.
L’énergie vient de là.
Casca est devenue la propriétaire de ce sac après qu’un homme dont elle ignore tout est entré dans le club-house pour tuer tous les gens qui s’y trouvaient.
Elle ne sait pas pourquoi il l’a épargnée ni pourquoi il lui a donné ce sac. Elle n’y a pas touché depuis qu’elle l’a rangé ici ce soir-là. Elle le déplace sur son lit et l’ouvre pour la première fois.
Il est rempli de billets de 500 $, mais l’énergie ne vient pas des billets. Casca enlève les liasses et les dépose sur son lit. Certaines finissent par glisser sur la couette et tomber par terre. Moins il y a de billets et plus l’énergie est forte.
Casca s’arrête.
Quelque chose brille au fond du sac.
Des faisceaux lumineux filtrent entre les dernières liasses.
Casca vide le sac pour révéler la source de l’énergie.
Une couronne.
Elle est faite d’or mais l’éclat qu’elle dégage est d’un blanc aveuglant. Casca la prend dans ses mains. Elle pense à une bombe atomique belle et pure. Ses impulsions lumineuses suivent le même rythme qu’un cœur qui bat.
Casca pense : c’est la plus belle chose que j’ai vue de ma vie.
Trish ouvre la porte de la chambre pour lui poser une question à propos d’un restaurant de nouilles à Miami. Elle la surprend avec la couronne entre les mains. Elle ne pose pas sa question.
Elle dit : c’est quoi ce truc.