2. Les problèmes de Steve Midgar
Une semaine plus tôt.
Steve Midgar roule vers L’Alambra dans son Alfa Romeo Giulia rouge.
Il a rendez-vous là-bas avec Bill Drisco, le président du club de natation de Myriad Pro.
Bill Drisco doit lui remettre le sac de sport avec la couronne, qu’il a lui-même récupéré des mains d’un autre homme, qui lui-même le tenait d’un autre homme, et ainsi de suite sur sept intermédiaires. Les identités se perdent à force.
Les sacs importants circulent toujours de main en main pour brouiller les pistes.
C’est la base des trafics mafieux.
Steve veut récupérer ce sac pour le confier à Tim, l’homme pour lequel il travaille à Miami. Bill Drisco ne sait pas que Steve a ce projet, mais Bill Drisco ne sait pas tout.
Sur la route Steve reçoit un appel d’un numéro inconnu. Il décroche sur le système Bluetooth de la voiture. C’est la principale du lycée Sunnydale, où son fils Cliff étudie. Elle veut le rencontrer en urgence pour lui parler de Cliff.
Steve fait demi-tour vers Portobello et récupère sa femme Maka pour aller au lycée. Ils vont seuls au rendez-vous pendant que Cliff les attend dans la voiture.
La principale enlève ses lunettes et les pose sur son bureau.
Elle dit : je dois vous parler de Cliff.
Maka regarde Steve. Elle a l’air inquiète.
La principale leur parle d’un affrontement qui a eu lieu dans la cour du lycée l’après-midi. Une dizaine d’élèves se sont battus à mort, et six d’entre eux ont été envoyés à l’hôpital. Elle dit : deux sont encore en réanimation.
Quelle horreur, dit Maka.
La principale a mené son enquête et découvert que Cliff avait promis 10 000 $ à celui qui sortirait vainqueur du combat. Je pense que c’était une plaisanterie, dit Maka. Je ne sais pas où Cliff aurait pu trouver autant d’argent.
La principale se baisse derrière son bureau et saisit une mallette en carbone. Elle la pose sur le plateau et l’ouvre devant Steve et Maka. Il y a des dizaines de liasses de billets à l’intérieur. Steve compte. Le total fait bien 10 000 $.
La principale dit : Cliff a été en cours avec cette mallette toute la journée. Les enseignants pensaient qu’il avait un nouveau cartable.
Maka se tourne vers Steve, mais cette fois il y a de la colère dans son regard.
Quoi ? lui dit Steve.
La principale dit : je vais devoir exclure Cliff du lycée. Les parents des élèves concernés ont déjà déposé une plainte commune contre lui.
Steve masse l’espace entre ses deux yeux. Il déteste quand les problèmes lui coûtent cher parce qu’il pense que c’est de l’argent gaspillé. Avec l’argent qu’il va devoir verser aux familles pour qu’elles retirent leur plainte, il sait qu’il aurait pu acheter deux Tesla Model GT ou une Tag Heuer incrustée de 589 diamants.
Il pense : c’est du gâchis.
Steve et Maka retournent dans leur voiture.
Cliff regarde par la fenêtre. Il ne dit rien à ses parents quand ils s’installent sur leurs sièges. Maka ne dit rien non plus. Le silence est super pesant. Steve se retourne vers Cliff et lui dit : on parlera tous les deux demain.
Cliff hausse les épaules.
Il dit : si tu veux.
Parfait, dit Steve. Puis il met le contact, passe la première et les ramène dans leur villa sur les hauteurs de Portobello.
Il dit bonne nuit à Maka et Cliff et s’isole dans le garage pour appeler Bill Drisco et le prévenir de son retard. Mais Bill Drisco ne répond pas. Steve laisse un message sur son répondeur. Il dit : salut Bill, c’est Steve. Je suis désolé, j’ai eu un contretemps. Rappelle-moi pour me dire si je peux toujours passer à L’Alambra.
Il attend que Bill Drisco lui réponde, assis sur le canapé du salon. Il regarde un reportage sur les animaux dans la savane. La télé éclaire son visage en blanc, en jaune et en noir. Des lionnes attaquent un gnou et le tuent. Steve regarde son BlackBerry quand le reportage se termine : pas d’appel en absence. Il éteint la télé et va se coucher.
Il se réveille en fin de matinée avec une sale migraine. Il descend dans la cuisine et regarde son BlackBerry. Bill Drisco ne l’a toujours pas rappelé. Il dit : je vais à L’Alambra, je reviens dans l’après-midi.
Personne ne lui répond.
Il fait la route et se gare sur le parking du golf.
Il porte un costume crème avec une coupe parfaite et une chemise avec des bandes blanches et violettes. Il fait un geste qui ramène les deux pans de sa veste sur le devant, puis ferme un seul des deux boutons en bois d’acacia sur lesquels il a fait graver MAKA et FOREVER.
Il allume une cigarette.
Il sent que quelque chose ne va pas, mais il ne sait pas encore quoi.
Il reconnaît certaines voitures d’habitués du golf comme un Range Rover Autobiography et une Audi RS7 Sportback. Mais il ne voit pas la Lamborghini Aventador de Bill Drisco.
Il marche vers le club-house.
Il jette le mégot de sa cigarette dans les graviers.
Il entre dans le club-house. Il demande : y a quelqu’un ? La salle est vide. Il demande : Bill, t’es dans le coin ? Il va voir dans les bureaux. Il ne trouve personne. Il pense : c’est bizarre. Casca devrait au moins être là. Il passe se laver les mains aux toilettes, qui sont vides elles aussi.
Il retourne dans la cour.
Il regarde autour de lui et cherche une solution dans le décor.
Il va voir sur le parcours, qui dégage une énergie malsaine mais apaisée. Les arbres, l’herbe et les étangs ont l’air d’avoir absorbé de mauvaises ondes, qui sortent du sol comme la chaleur sur le bitume.
Elles lui donnent la nausée.
Il revient au club-house et fouille dans les placards au cas où Bill aurait laissé le sac avec un mot. Il ne trouve rien d’autre que des boîtes de balles, des dossiers d’inscription, des parapluies et des accessoires en vrac.
Il s’assoit à une table et allume l’écran plasma. Une journaliste de Myriad Pro parle d’une fusée qui a décollé et d’une falaise qui s’est effondrée.
Steve regarde une vidéo amateur de la fusée très haut dans le ciel.
Il pense : une fusée.
Il sort son BlackBerry pour appeler le directeur du Starlight, mais tombe sur sa boîte vocale. Même chose avec le propriétaire de L’Alambra. En tout, c’est 35 contacts de son répertoire qui sont injoignables.
C’est à ce moment-là qu’il comprend qu’il n’aurait jamais dû manquer son rendez-vous avec Bill Drisco. Il n’aura aucun sac à donner à Tim lorsqu’il le verra, et Tim n’aura aucun sac à ouvrir.
Mais surtout : il n’a aucune idée d’où est le sac.