C’est dans le jardin d’une maison qui brûle.

La maison de Brion.

Nous arrivons trop tard, dit Upamecano.

L’incendie a déjà pris les murs, les sols et les plafonds. Des flammes montent jusqu’au toit et la charpente menace de s’effondrer. L’air est pollué de fumées toxiques, de débris et de braises qui retombent sur la pelouse et dans les arbres.

Le groupe court vers la maison.

Brion va et vient pour éteindre l’incendie avec de l’eau qu’il puise dans son bassin à poissons. Il a la taille et la carrure d’un adulte moyen, genre 1,80 mètre et 75 kilos, avec un casque intégral de moto sur la tête, un tee-shirt noir, des gants, un pantalon cargo militaire et des chaussures montantes en cuir.

Il y a deux enfants qui l’aident avec des seaux de plage.

Ces deux enfants vivent avec lui.

Ils sont déguisés en costumes de Power Rangers Mighty Morphin rouge et noir.

Leurs costumes ne sont pas complets ni très réalistes : le masque est accroché derrière la tête avec une ficelle, la combinaison taillée dans un tissu bas de gamme, la ceinture cousue dans la pièce principale, leurs épées en plastique se plient quand elles tapent contre un truc dur, et il n’y a même pas les bottes.

Ils sont en chaussettes.

Ils voient Upamecano arriver. Le Ranger noir dit : Upa, au secours. À l’aide, dit le Ranger rouge, la maison de Brion est en train de brûler. Brion dit : mmmmhh. À cause de son casque toutes ses paroles sont étouffées.

Il donne son seau à Upamecano et court chercher un tuyau d’arrosage dans la cabane à outils. Casca, Palmyre et Price aident aussi comme elles peuvent en utilisant leurs mains et des pierres creuses pour transporter l’eau.

Brion déroule le tuyau et arrose le sommet des flammes.

Mais le feu a déjà consumé le bois et la maison s’écroule sur elle-même. Le poids de l’eau finit de détruire les quelques cloisons qui tenaient encore debout. Tout ce qui brûlait s’éteint et des fumées s’élèvent de la ruine noire comme l’âme d’un corps calciné.

Brion s’agenouille pour prendre des morceaux de vestiges dans ses bras.

Il pleure sous son casque. Tout le monde entend ses mmmmhh étouffés.

Les deux Rangers le rejoignent et posent leurs mains d’enfants sur ses épaules. Pleure pas, dit le Ranger noir, on en construira une autre. Ouais et même mille fois plus grande, dit le Ranger rouge. Toi il faut toujours que t’abuses, dit le Ranger noir. J’abuse pas, dit le Ranger rouge. Je veux juste que Brion soit heureux comme avant.

Brion est la calamité chargée de garder l’accès à la maison du roi. Sa maison à lui est l’ultime environnement du sanctuaire, et toutes les auras qui traversent le sanctuaire doivent lui rendre visite si elles veulent rencontrer le roi. Mais Brion est très procédurier et se met facilement en colère donc autant dire qu’il y a peu d’élues.

Upamecano veut savoir ce qui s’est passé.

Comme Brion n’est pas en état de parler, ce sont les deux Rangers qui racontent.

Le Ranger noir dit : Brion devait faire une course donc il nous a dit de fermer la maison à clé et d’ouvrir à personne tant qu’il serait pas revenu. Même pas aux gens qu’on connaît, dit le Ranger rouge. Ouais, dit le Ranger noir, même pas à eux. Même à toi Upa on t’aurait pas ouvert.

Ouais, dit le Ranger rouge.

Le Ranger noir dit : on est allés jouer dans le grenier et après on a entendu la sonnette de la maison. Au début on a fait comme Brion nous avait dit et on est pas allés ouvrir. Ouais on a juste fait comme Brion nous a dit, dit le Ranger rouge. Arrête de répéter ce que je dis, dit le Ranger noir.

Ouais pardon, dit le Ranger rouge.

Mais la personne elle est pas partie, dit le Ranger noir. Elle a continué à sonner et sonner tout le temps comme si elle savait qu’on était là. Ouais, dit le Ranger rouge, comme si elle pouvait nous voir grâce à des yeux magiques. Il pointe sa tempe avec la pointe de son épée. Il dit : comme si elle pouvait lire dans notre esprit.

Mais vous n’avez pas ouvert, dit Upamecano.

Si à la fin on a ouvert, dit le Ranger rouge. Le Ranger noir lui donne un coup d’épée. Il dit : mais fallait pas le dire comme ça. Comment alors ? dit le Ranger rouge. Le Ranger noir dit : en fait on a ouvert parce qu’elle nous a dit qu’elle avait la pierre donc on a pensé qu’elle était gentille. On a pensé que c’était comme si on la connaissait.

Mais Brion il avait dit de pas ouvrir même aux gens qu’on connaissait, dit le Ranger rouge. Mais on l’a fait quand même. Ouais, dit le Ranger noir.

À quoi il ressemblait ? demande Palmyre.

À un grand, dit le Ranger noir. Un adulte tu veux dire ? dit Palmyre. Non, dit le Ranger noir, juste un grand. Un peu comme nous mais en grand. Il nous a dit qu’il s’appelait Peter Fire. Ouais et il était avec un canard et une abeille, dit le Ranger rouge. Non c’était pas une abeille, dit le Ranger noir, c’était un bourdon. C’est pareil, dit le Ranger rouge. Non c’est pas pareil, dit le Ranger noir, les bourdons ils sont beaucoup plus fluffy.

J’aurais trop aimé le caresser, dit le Ranger rouge.

Le Ranger noir dit : on lui a dit qu’il pouvait entrer s’il voulait mais qu’il devait attendre Brion et que nous on pouvait pas l’aider. Il a dit qu’il était pressé et qu’il pouvait pas attendre. Mais nous on a dit que si il était obligé d’attendre. Ouais, dit le Ranger rouge, on lui a dit t’as pas le choix t’es obligé sinon Brion va se mettre en colère.

Il avait l’air déçu, dit le Ranger noir. Nous on lui a dit qu’il pouvait venir jouer avec nous dans le grenier mais il a dit qu’il préférait rester dans le salon pour attendre. Ouais, dit le Ranger rouge, il a dit qu’il aimait pas trop jouer. Il devait penser qu’on était des bébés, dit le Ranger noir.

Ouais, dit le Ranger rouge. Même si en vrai on est pas des bébés.

Upamecano dit : et je suppose que Brion a fini par rentrer.

Ouais, dit le Ranger noir, mais quand même longtemps après.

Ouais, dit le Ranger rouge, et il était pas content du tout.

67. L’intrus

Brion ouvre la porte d’entrée sur un rez-de-chaussée saccagé.

Les tiroirs des commodes et les portes des placards sont ouverts, la vaisselle brisée, les lits défaits, l’intérieur des armoires renversé et éparpillé sur le sol, les boîtiers de CD et de DVD ouverts et certains cassés, les plinthes retirées, les lattes du plancher décollées. Il y a même des trous faits au marteau dans les murs.

Brion peut suivre le trajet de l’intrus aux marques laissées dans chaque pièce.

Il monte au premier étage pour découvrir les chambres et la salle de bain dans le même état. Il y a des cartons éventrés, des classeurs, des chemises et leurs papiers dispersés, du carrelage éclaté et la tuyauterie en partie démontée.

Il ouvre la porte du grenier.

Les deux Rangers sont sous l’emprise de Peter Fire.

Il porte la pierre devant leurs yeux pour connaître les secrets de cet environnement. Il dit : dites-moi où le LEGO est caché. Je veux voir le roi. On devrait plutôt attendre Brion, dit le Ranger noir. Ouais, dit le Ranger rouge, en fait c’est lui qui sait tout comment ça se passe ici.

Je ne veux pas attendre, dit Peter Fire.

Brion s’approche par-derrière et lui recouvre la bouche avec ses deux mains.

Peter Fire se débat mais la force de Brion le dépasse largement. Il n’arrive pas à parler pour utiliser le pouvoir de la pierre. Brion l’amène au sol et l’écrase face contre terre. Il appuie son genou sur sa nuque. La pression est insupportable. Peter Fire n’arrive plus à respirer.

Brion sort une corde en chanvre d’une de ses poches et l’enroule autour du cou de Peter Fire. Les tresses de la corde pivotent jusqu’à lui faire perdre connaissance.

Il était gentil, dit le Ranger noir. Ouais, dit le Ranger rouge, faut pas que tu sois fâché.

Brion se relève avec le corps de Peter Fire sur son épaule.

Les Rangers disent : l’enferme pas dans la trappe.

Brion descend les escaliers et marche jusque dans une des chambres du rez-de-chaussée. Il pose le corps de Peter Fire sur le lit et dégage les deux planches au fond de l’armoire à vêtements. Elle révèle l’ouverture d’une trappe dans le sol, avec deux battants en bois et deux heurtoirs en acier.

Pas dans la trappe, dit le Ranger rouge.

Brion ouvre les deux battants.

C’est impossible de voir le fond de la pièce. C’est impossible même d’envisager qu’il y ait une pièce . C’est un espace qui ne dégage rien.

Brion reprend Peter Fire sur son épaule et le jette dans la trappe. Puis il fait pareil avec le Ranger noir et le Ranger rouge pour les punir d’avoir désobéi. S’il te plaît, dit le Ranger noir, pas dans la trappe.

Brion referme la trappe, replace les deux planches au fond de l’armoire, la ferme à clés et retourne dans la maison pour nettoyer et réparer les dégâts.

Il prend même le temps de sortir pour vérifier l’état de son bassin et des poissons qui nagent dedans. Leurs bouches sortent de l’eau comme pour respirer mais attendent des granulés riches en protéines. Ils en ont besoin pour construire du muscle. Brion en verse une poignée qui flottent à la surface avant d’être gobés.

Les deux Rangers se retrouvent seuls avec Peter Fire.

Il met du temps avant de reprendre ses esprits.

La pièce est plongée dans le noir à part une veilleuse dans un coin. Peter Fire ouvre les yeux et devine les deux Rangers en train de se battre avec leurs épées. Ils les entrechoquent dans un sens, puis dans l’autre.

Prends ça, dit le Ranger noir, épée laser.

Le Ranger rouge dit : et moi hache laser.

Ils se rendent compte que Peter Fire les regarde.

Ah ça y est t’es réveillé, dit le Ranger noir. Tu peux jouer avec nous cette fois si tu veux. Il lui tend un costume de Ranger bleu. Peter Fire palpe ses poches et le sol à la recherche de la pierre. C’est Brion qui te l’a confisquée, dit le Ranger noir. Il a dit que c’était trop dangereux.

C’est ma pierre, dit Peter Fire.

Ouais on sait, dit le Ranger rouge, mais Brion c’est un très grand donc il peut confisquer ce qu’il veut. Ouais, dit le Ranger noir, mais si tu joues avec nous au combat on pourra être plus forts que lui et récupérer ta pierre.

Ouais, dit le Ranger rouge, tous les trois on pourra assembler le Megazord pour sortir d’ici. Avec notre épée Megazord, dit le Ranger noir. Ouais et la puissance Megazord, dit le Ranger rouge. Et aussi avec la hache Megazord on pourra le désintégrer.

Il dit : yah et donne un coup d’épée circulaire.

Il va nous garder ici longtemps ? demande Peter Fire.

Je sais pas, dit le Ranger rouge. Il compte sur ses doigts. Il dit : en fait je sais pas compter. Le Ranger noir dit : même si on est punis Brion finit toujours par pardonner.

Le Ranger rouge dit : bon allez maintenant on est sérieux.

Il lève la pointe de son épée vers le ciel et dit : c’est l’heure de Morphin.

Le canard d’Aruka sort de sous les haies de sapin qui délimitent le jardin de Brion. Il a des épines et de la boue collées à ses plumes donc il va dans le bassin pour se laver. Avec son bec il enlève les parasites et autour de lui les poissons finissent de manger les granulés que Brion a versés dans l’eau.

Le bourdon les rejoint.

C’est émouvant tous ces animaux d’espèces différentes qui passent des moments simples ensemble. Ils font leur vie à côté de Brion qui est assis sur une pierre en forme de banc. Il réfléchit à ce qui s’est passé avec Peter Fire et les deux Rangers.

Il fait tourner la pierre devant la visière de son casque.

Il dit : mmmmhh.

Il la range dans une des poches latérales de son pantalon cargo et se lève. Il fait signe au canard et au bourdon de le suivre. Le bourdon se pose sur le dos du canard, qui marche derrière Brion jusqu’au fond du jardin, derrière un sapin haut de 30 mètres. C’est là que Brion entrepose son bois de chauffage et jette sa tonte de pelouse.

Il s’accroupit pour écarter deux branches dans une haie de laurier.

Un passage apparaît, juste pour eux.

Il mène à la maison du roi.