Quiksilver fait du stop en marchant le long de la route qui va vers Miami.

Il fait super beau.

Une Porsche 911 Carrera Cabriolet ralentit à sa hauteur et roule à la même allure que sa marche. Bryan Vega la conduit. Il dit : salut, je peux te déposer quelque part ?

Quiksilver dit : je vais au Karaoke Lovers.

Vega répond en levant son pouce.

Quiksilver jette son sac sur la banquette arrière et s’installe sur le siège passager. Vega monte le son de l’autoradio : c’est Cherry Pepsi de SAINT PEPSI.

Il accélère et la Porsche file sur la route qui sinue entre les prairies et les champs. Le soleil éclaire tout de la même lumière. Des arroseurs automatiques projettent une eau pure sur les plantes et les légumes.

Quiksilver reconnaît Miami à l’horizon.

Les palmiers plantés à l’entrée de la ville défilent au même rythme des deux côtés de la route. Des gens habillés en short et en tongs marchent sur les trottoirs avec des sacs Carhartt, Balenciaga, Drew House, Off-White et Homer. Les propriétaires des pavillons tondent leur pelouse et repeignent leurs clôtures.

Il y a des pichets de citronnade sur les tables de jardin.

Les devantures des boutiques défilent : The Webster avec sa faïence symétrique, Tom Ford avec son toit en pyramide, The Time Travel Mart avec ses deux boutons retour et avance rapide, CURIO avec ses hippocampes et ses palourdes bleu, rouge et jaune, et Gucci avec ses deux phrases Rien ne compte vraiment et J’ai envie de croire aux histoires.

Vega se gare en face du Karaoke Lovers.

Il saute par-dessus sa portière et jette ses clés au voiturier.

Tu viens aussi ? demande Quiksilver.

Vega dit : ce n’est pas ce que tu voulais ?

Si, dit Quiksilver. Mais j’osais pas te le proposer.

Tous les deux chantent les chansons préférées de Quiksilver devant un écran rose où les paroles sont écrites en blanc. Par exemple ils chantent Numb de Linkin Park et Bloodhail de Have a Nice Life. Ils font comme s’ils étaient sur la scène d’un stade. Des fois Quiksilver se met à genoux et bascule son visage vers le haut. Il y croit vraiment.

Il rejoint Vega assis sur la banquette en train de boire un Virgin Blue Lagoon.

Il rigole avec une forme de gêne proche de la timidité. Il dit : tu passes une bonne soirée ? Ouais, dit Vega. J’adore le mood ici. Les paroles d’une chanson continuent de défiler sur l’écran mais Quiksilver n’y fait plus attention. Il lit les mots sans les comprendre.

Les paroles de la chanson disent : j’ai encore des photos d’amis au mur. J’imagine qu’on n’est plus vraiment amis maintenant.

Vega dit : on bouge ?

Il fait chaud donc tout le monde est torse nu, en bikini ou en débardeur. Le blanc du coton devient vert fluo. Des groupes marchent vers les casinos et les penthouses avec des soirées privées. Les enseignes multicolores rendent les visages multicolores.

Les boulevards de bord de mer sont interdits aux voitures.

Les terrasses protégées par de grands parasols orange accueillent des gens qui discutent et mangent des burgers au poulet. Des ventilateurs tournent sur eux-mêmes. Les troncs de certains palmiers sont entourés de néons.

D’autres personnes peignent ou font du roller.

Il y a un peu de bossa-nova.

Tout a l’air parfait.

Mais ce n’est pas vraiment Miami.

C’est le rêve de Quiksilver.

Ils s’achètent chacun une glace goût fraise et fruit de la passion qu’ils mangent sur la digue à côté du skatepark. La mer est pleine de jet-skis et de planches à voile.

Quiksilver demande : tu serais d’accord pour prendre une photo avec moi ? Ouais, dit Vega, carrément. Il tient la glace de Quiksilver le temps qu’il prenne son iPhone. Il met l’appareil-photo en mode selfie avec un filtre qui les transforme en versions plus belles d’eux-mêmes.

Ils prennent une pose classique.

Quiksilver regarde l’écran pour vérifier la qualité de la photo : il est seul avec un vide à côté.

Il regarde à côté et voit le vide à la place de Vega.

La digue s’étire à l’infini en reproduisant le même motif. Tous les bruits autour se transforment en crissements métalliques. Les lumières des bars sont éteintes et il n’y a plus personne à marcher dans les rues. Quelqu’un hurle dans le noir.

C’est le hurlement de quelqu’un en train d’être tué.

Quiksilver se retourne et se voit sur la digue. Vega avec sa cagoule dans les mains est à califourchon sur son ventre. Le corps de Quiksilver, Vega et la cagoule aussi sont reproduits à l’infini. Chaque reproduction de Vega reproduit le même geste de la même cagoule qu’il enfile sur la tête de Quiksilver.

Vega regarde Quiksilver droit dans les yeux.

Il dit : j’ai réalisé ton rêve.

La VHS s’arrête et de la neige apparaît à l’écran.

Et voilà, dit le garçon, c’est fini.

Je dois partir ? demande Quiksilver.

Non, dit le garçon, tu es déjà parti.