44. Davenport Quest
Maintenant la question est de savoir quoi faire de Davenport.
Cid lui demande combien Vega a envoyé de membres de la Brigade à leur poursuite. Je veux bien répondre, dit Davenport, mais vous êtes obligé de rester en slip ? Je vais pas remettre un kimono mouillé, dit Cid.
Le kimono est en train de sécher à plat sur le capot de la Mercedes. Le moteur tourne pour qu’il sèche plus vite.
Davenport dit : on est deux, mais on ne travaille pas ensemble. Où est l’autre ? demande Cid. Je ne sais pas, dit Davenport. Je ne l’ai pas revu depuis qu’on a quitté Copenhague. Vega est là-bas ? demande Cid. Oui, dit Davenport, mais plus pour longtemps.
Casca dit : qu’est-ce qu’il vous a promis ?
Elle était restée en retrait donc les autres se retournent pour la regarder. Ils ne savent pas de quoi elle parle, mais Davenport si.
Il dit : de la revoir.
De qui vous parlez ? demande Trish.
Casca et Davenport l’ignorent et continuent leur conversation. Casca demande : vous aimeriez la revoir maintenant ? Plus que tout, dit Davenport, c’est mon rêve.
Casca fouille dans son sac et en sort la couronne.
Elle la tend à Davenport.
Trish et Cid réagissent comme si elle faisait un geste interdit.
Elle dit : elle est ici, si vous voulez la voir.
Davenport regarde Casca droit dans les yeux. Il n’arrive pas à deviner ce qu’elle pense. Elle ne dégage aucune intention particulière. Tout le temps que Vega était en possession de la couronne, il ne la lui a jamais montrée. Et maintenant cette inconnue la lui tend comme un objet banal.
Il n’a plus qu’à dire : oui.
Il approche ses mains, qui tremblent.
Dès qu’il touche la couronne il se retrouve dans une rue de lotissement vide. C’est la nuit et il y a sans doute des gens dans les maisons parce que certaines fenêtres sont allumées. Il ne voit pas les ombres des gens chez eux. Il n’entend aucun des bruits de la ville.
La maison face à lui ne ressemble pas aux autres : l’architecture n’est pas la même, ni surtout l’énergie qu’elle dégage.
Davenport avance dans l’allée de graviers jusqu’à la porte du garage.
La voix d’un garçon en sort. Il dit : attends-moi, je prends ma Game Boy. Davenport a l’impression que c’est un ami d’enfance qui lui parle. Le garçon dit : il faut que je te montre le nouveau jeu qu’on m’a prêté.
Davenport attend debout à côté du garage. Les bambous plantés contre le mur mitoyen font un bruit de frisson dans le vent. Les mêmes fenêtres des maisons en face sont toujours allumées. Tout a l’air faux.
Le garçon revient. Il allume sa Game Boy et la penche un peu sur le côté pour que Davenport aussi puisse voir l’écran. Tu vois bien ? demande le garçon. Oui, dit Davenport. Ils parlent ensemble comme s’ils se connaissaient depuis toujours.
Le jeu se lance.
L’écran LCD de 2,6 pouces affiche le visage de celle dont Davenport rêve en quatre niveaux de gris. C’est exactement comme dans ses souvenirs mais en pixel art.
Le jeu a un titre : DAVENPORT QUEST.
Tu vas voir, dit le garçon, il est génial.
Sur le pont tout le monde regarde Davenport, qui serre la couronne contre son torse. Il a fermé les yeux et il sourit. Qu’est-ce qu’il lui arrive ? demande Trish. Casca dit : le roi lui montre ce dont il rêve.
Trish dit : moi quand j’ai pris la couronne à l’appart il s’est rien passé. Casca lui demande si elle a des déceptions ou des aspirations profondes. Trish pose son index sur sa bouche et regarde vers le ciel. Elle dit : non, je pense pas.
Alors la couronne n’a rien à t’offrir, dit Casca.
Trish dit : t’es en train de dire que je suis superficielle ?
Casca explique que la couronne capture celui qui s’obstine à croire en des rêves qui ne se réaliseront jamais. C’est une cellule idéale qui punit ceux qui forcent leur destin, et oblige à accepter la réalité pour s’en libérer.
C’est pour cette raison qu’elle attire toutes les auras malheureuses : elle les berce d’illusions confortables et tragiques. Elle se nourrit de ce malheur, et son pouvoir est d’autant plus grand que les auras qui s’en échappent sont rares.
Si Davenport accepte le sort de son histoire, la couronne le libérera.
Et sinon ? demande Trish.
Casca dit : il ne rouvrira pas les yeux.
La distance de Casca met Trish mal à l’aise. Elle lui dit : ne fais pas comme si sa vie n’avait pas d’importance. Je lui ai laissé le choix, dit Casca. Quel choix ? dit Trish. Il vit dans ses souvenirs et tu lui proposes de mourir dans une illusion. Il peut toujours accepter la réalité, dit Casca. Arrête de parler comme une mystique, dit Trish. Ça ne te ressemble pas.
Elle s’éloigne du groupe et s’installe dans la Mercedes de Davenport.
Elle voit tous les boîtiers et les CD en vrac sur la moquette. Il y a plein d’albums de gros mélancolique comme Teen Dream, Think Tank, Heaven or Las Vegas, Grace, Veneer, Ocean Beach, Yankee Hotel Foxtrot et Summer Sun.
Elle commence à comprendre de quelles émotions Vega se sert pour enrôler les membres de la Brigade fantôme.
Plus tard elle est perdue dans l’écoute de Season of the Shark quand Cid passe sa tête dans l’habitacle. Il a récupéré son kimono sur le capot et il est en train de nouer la ceinture noire. Il dit : ça va mieux ? Ouais, dit Trish. Il vient de se réveiller, dit Cid.
Trish et Cid rejoignent Casca, Upamecano et Davenport.
Davenport tend la couronne à Casca. Il dit : je vous la rends. Il ne parle ni de ce qu’il a vu ni de ce qu’il a vécu. Trish voit qu’il y a quelque chose dans son regard qui a changé, mais elle n’arrive pas à dire s’il est plein d’un espoir nouveau ou vide d’un ancien.
Davenport dit : je n’en veux pas à Bryan. Il avait sans doute de bonnes raisons de me faire croire que c’était possible. Il doit y croire lui aussi. Il prend une grande respiration. Il dit : je crois que j’ai besoin de m’asseoir.
Il s’assoit en tailleur et prend sa tête entre ses mains.
C’est là que tout le monde comprend qu’il avait surtout besoin de pleurer.
Il y a un silence d’amis.
Puis Davenport relève la tête, les larmes aux yeux.
Il dit : je peux venir avec vous ?