Casca se réveille avec les visages de Trish, Upamecano, Cid et la vieille en gros plan au-dessus d’elle.

Elle se redresse et comprend qu’elle est dans la chambre d’une maison parce qu’il y a des photos de plein de gens qu’elle ne connaît pas mais qui ont l’air heureux ensemble.

Et sur certaines photos elle reconnaît la vieille pareille ou plus jeune.

Elle demande : qu’est-ce qui s’est passé ?

Trish dit : t’es tombée dans les pommes à cause du bébé de l’église et après on a cru que la vieille t’avait empoisonnée avec un champignon toxique. Mais non, dit la vieille, je vous ai dit qu’il allait la guérir. Oui mais avant qu’elle soit guérie on a cru qu’elle était morte, dit Trish. Le bout de son index est tout près du visage de la vieille. Elle dit : et ça, vous nous aviez pas prévenues que ça arriverait.

Vous m’accusez ? demande la vieille.

Trish dit : oui je vous accuse, mamie.

La vieille a une veine qui gonfle sur son front quand elle entend le mot mamie. Elle prend le poireau qu’elle allait émincer et commence à en donner des coups sur le crâne de Trish.

C’est un démon, crie Trish, qui se met à courir partout dans la chambre avec la vieille à ses trousses.

Casca les regarde.

Upamecano les sépare pendant qu’elles font des moulinets avec les bras.

Cid dit : je suis content que vous alliez mieux. J’ai pu récupérer notre autorisation pour la douane. Il est trop tard pour partir aujourd’hui, mais on partira demain matin. Cette dame nous a gentiment proposé de dormir chez elle cette nuit.

La vieille retourne en cuisine.

Elle allume sa chaîne hi-fi et met le CD d’un pianiste qui la détend. Elle dispose le poireau et tous les autres ingrédients de sa recette sur sa planche à découper. Les légumes ont l’air délicieux parce qu’ils luisent d’eau et que leurs couleurs sont parfaites. La vieille les prépare et Trish a l’impression d’écouter une vidéo ASMR.

Le bruit de la lame qui tranche un chou, celui des oignons qui crépitent dans l’huile, du bouillon qui frémit dans la casserole, de la sauce qui mijote, d’une coquille d’œuf qui se brise, et des bols en porcelaine déposés avec douceur sur la table en bois.

Trish gonfle ses narines pour sentir la bonne odeur du repas.

La vieille est heureuse de les voir manger avec plaisir.

Après le repas le groupe discute et se raconte des histoires. Les expressions sur le visage de Trish changent beaucoup selon que l’histoire est drôle ou triste.

Mais celle sur le visage de Casca ne change pas.

Son sentiment d’absence s’est renforcé depuis leur départ de Copenhague. Les scènes qu’elle voit ne font plus écho à aucun souvenir. Toutes ses émotions ont été englouties par l’image de la couronne.

Sa tête est pleine du murmure des auras perdues.

Elle n’éprouve pas de peine, mais elle n’est plus ici.

La vieille déroule des futons sur le sol et tout le monde s’endort dans sa position préférée.

Le même ciel de nuit recouvre tout Cypress Hill.

Trish se lève le matin quand tout le monde dort encore et descend dans la cuisine. Elle fait réchauffer la soupe de la veille avant de la verser dans un thermos qu’elle range dans son sac.

Elle sort de la maison sans réveiller Cid qui ronfle sur le canapé du salon.

Elle ne claque pas la porte.

La vieille l’a entendue descendre. Elle va à la fenêtre de sa chambre et la regarde marcher entre les arbres vers l’église de Soma Cruz. Elle pense : tu as bon cœur.

Trish entre dans l’église et appelle le nom de Cruz, mais il ne répond pas. Elle avance dans l’allée centrale en fixant le vitrail du bébé sacré tout au fond. Elle pense : tu es juste un bébé, tu ne me fais pas peur.

Elle trouve Soma Cruz allongé sur le banc en bois de la première rangée, sous une couverture déchirée qui lui recouvre à peine le ventre et les jambes.

Elle lui secoue l’épaule.

Elle dit : monsieur Cruz. Je vous ai amené de la soupe. Cruz ouvre les yeux et reconnaît le visage de Trish. Il demande : pourquoi vous êtes revenue ? La mamie chez qui on dort nous a raconté votre histoire, dit Trish. Et je voulais vous dire que vous êtes pas obligé de rester ici pour toujours avec le bébé.

Elle dit : il y a plein de choses à faire dehors.

Cruz se redresse sur le banc et la remercie pour la soupe.

Il boit directement dans le thermos.

Il dit : c’est bon.

Il repose le thermos entre ses jambes.

Il dit : depuis que le bébé est apparu dans mon esprit, j’ai oublié tous mes rêves. Et même après que le cercueil a brûlé, le bébé est resté. J’ai construit l’église pour me faire pardonner, mais il ne me laisse pas partir. Trish dit : dans le village tout le monde pense que vous le vénérez encore.

Ils ne viennent plus me voir, dit Cruz, ils ne peuvent pas savoir.

Ouais, dit Trish.

Elle dit : vous avez déjà vu Sixième Sens ? Je ne vais pas au cinéma, dit Cruz. Moi je l’ai vu à la télé, dit Trish. J’adore Bruce Willis, j’ai vu presque tous ses films. En fait à la fin c’est parce qu’il comprend qu’il est mort qu’il peut enfin s’en aller.

Cruz fixe le thermos entre ses jambes.

Trish dit : peut-être que vous avez pas encore compris qui vous êtes. Moi aussi des fois je me pose des questions. Mon amie Casca, elle a un destin maintenant. Pour l’instant je me dis que mon destin c’est de l’aider, mais peut-être que je me trompe. Peut-être que je veux pas vraiment comprendre ce que je veux.

Elle dit : je sais pas si vous voyez ce que je veux dire.

Je vois, dit Cruz.

Il regarde le vitrail du bébé et Trish aussi le regarde un peu, et puis elle se lève du banc. Elle dit : gardez le thermos. Vous pourrez le ramener à la mamie plus tard. Elle remonte l’allée centrale.

Cruz a juste le temps de lui dire merci avant qu’elle quitte l’église.

De rien, dit Trish. Prenez soin de vous.

Quand elle revient dans la maison, tout le monde est en train de s’habiller chaud et de ranger ses affaires. Le groupe dit au revoir à la vieille et rejoint le camion pour s’installer à bord.

Le camion s’éloigne de Cypress Hill et finit par se rapprocher de la douane et de tous les dispositifs de défense qui protègent l’accès au pont : un grand portail métallique, deux tourelles avec des projecteurs et des snipers au sommet, des barbelés, des gardes en bas avec des fusils d’assaut, et des haut-parleurs qui alertent les intrus ou passent de la musique quand il n’y a personne.

Un garde arrive à leur hauteur et frappe à la vitre de Cid, qui la baisse.

Il demande : vous avez une autorisation ?

Cid la tend au garde. Le garde regarde le papier, puis il regarde la remorque avec la toile de camouflage. Il demande : qu’est-ce que vous transportez ? Du matériel, dit Cid. C’est pour une mission scientifique.

Le garde va à l’arrière et allume sa lampe torche pour éclairer l’intérieur de la remorque. Il voit trois bidons en acier et de grands sacs de transport. Il pense que c’est le genre de matériel habituel pour une mission scientifique. Il pense : tout est en ordre.

Il revient à l’avant du camion et rend le papier à Cid. Il dit : tout est en ordre, vous pouvez y aller. Il fait signe à un autre garde assis dans une cabine d’ouvrir le portail.

Quand le portail est ouvert, le camion peut passer.

Il s’éloigne et le péage rétrécit comme Cypress Hill juste avant.

Il n’y a plus que le pont au milieu et l’eau sur les côtés.

Cid vérifie dans son rétroviseur que les gardes sont loin. Il dit : c’est bon, vous pouvez sortir. Upamecano dit : Armatura, Testudo, et les pièces de son armure qui formaient des bidons dévoilent Casca et Trish.

Cid sait que n’importe quel garde, douanier, homme de main, agent de sécurité, surveillant, patrouilleur, soldat ou vigile peut travailler pour Bryan Vega.

Le 4e article du Grand Manuel des Organisations mafieuses dit que toute organisation devient mafieuse à compter du jour où elle dénombre plus de 5000 membres.

Vu qu’en général l’organisation tourne autour d’une dizaine de figures importantes, il faut recruter un paquet d’inconnus pour atteindre le bon nombre. Au bout d’un moment il n’y a même plus de castings et ils sont juste choisis au hasard.

C’est pareil que de remplir un monde de PNJ pour faire genre qu’il est vivant.

Cette masse d’inconnus est quand même utile pour faire tous les trucs de base que les figures importantes ont la flemme de faire, comme garder des bâtiments, surveiller des parkings, protéger des personnalités influentes, sacrifier des civils, conduire des voitures ou quadriller le territoire.

Leurs yeux marchent comme des caméras de surveillance avec une définition 4K.

Donc quand le garde quitte son poste de surveillance pour remonter vers les bureaux, la première personne qu’il compte prévenir c’est le n°6 de la Brigade fantôme : Davenport.